Chapitre 17

PHYSIOPATHOLOGIE DE L'AUTO-IMMUNITE

 

I - Définitions

Généralement l'organisme ne déclenche pas de réaction immunitaire contre lui-même. C'est le principe de l' "horror autotoxicus" défini par Ehrlich et Morgenroth. Pourtant, dans certaines circonstances pathologiques comme au cours des anémies hémolytiques auto-immunes, des anticorps (auto-anticorps) reconnaissent des antigènes à la surface des hématies autologues (auto-antigènes). Dans ce cas particulier, la fixation des auto-anticorps sur les auto-antigènes entraîne la destruction des hématies. Cette situation correspond à la définition d'une maladie auto-immune : des auto-anticorps sont responsables de la lyse de cellules cibles(ici des hématies) et entraînent des symptômes caractéristiques d'une maladie (ici, l'anémie). Une maladie auto-immune peut être déclenchée non seulement par des auto-anticorps, mais aussi par des lymphocytes T "auto-réactifs".

Il faut distinguer les authentiques maladies auto-immunes, des épiphénomènes d'auto-immunisation accompagnant certaines maladies dont l'étiologie n'est nullement immunologique. Ainsi des auto-anticorps anti-myocarde peuvent apparaître à la suite d'un infarctus, sans que la cause de l'infarctus soit immunologique.

          Au cours d'une maladie auto-immune, on observe souvent simultanément des auto-anticorps et des lymphocytes T auto-réactifs. Le diagnostic biologique de la maladie est généralement fait grâce à la détection des auto-anticorps, tandis que l'étude expérimentale du mécanisme de la maladie montre le plus souvent le rôle prépondérant des lymphocytes T.

II - modeles experimentaux

        Les modèles expérimentaux permettent de progresser dans la compréhension de la physiopathologie de l'auto-immunité et de mettre au point des traitements. Il existe des modèles "spontanés" de maladies auto-immunes, où les symptômes apparaissent spontanément dans certaines lignées animales. Les modèles "induits" sont reproduits chez des animaux traités selon certains protocoles appropriés.

       A) Exemples de modèles de maladies auto-immunes spontanées

        - Le syndrôme lupique des souris (NZB x NZW) F1 (NZB : New Zealand Black; NZW: New Zealand White) commence dès l'âge de 2 mois par l'apparition d'auto-anticorps antinucléaires comportant des Ac anti-ADN natif, puis d'une glomérulonéphrite à 6 mois se traduisant par une protéinurie. L'insuffisance rénale s'aggrave progressivement et à l'âge d'un an toutes les souris sont mortes.

          - Le syndrôme lupique des souris MRL/lpr ressemble à celui des précédentes, mais il est associé à un syndrome lymphoprolifératif qui se traduit par une splénomégalie et des adénomégalies (lpr : "lymphoprolifération ").

          - La thyroïdite du poulet obèse : une souche de poulets, issue de la souche des White Leghorn, développe une thyroïdite auto-immune qui se caractérise par une obésité et une frilosité (cf description au chapitre "Thyroïdite auto-immune").

          - Le diabète insulino-dépendant des souris NOD ("Non obese diabetic") et des rats BB (Bio Breeding) (cf description au chapitre "Diabète insulino-dépendant").

       B) Exemples de maladies auto-immunes expérimentales induites

Le principe de l'induction d'une maladie auto-immune repose sur l'injection d'un extrait d'organe contenant les auto-antigènes "cibles" associé à de l'adjuvant de Freund (émulsion de corps de mycobactéries tuées) dont le rôle est d'augmenter la réponse auto-immunitaire.

          - La thyroïdite auto-immune expérimentale (EAE) est obtenue après injection à la souris CBA/J, de thyroglobuline associée à de l'adjuvant complet de Freund (émulsion oléo-aqueuse) (description au chapitre "thyroïdite auto-immune"). Elle reproduit assez fidèlement la thyroïdite de Hashimoto observée chez l'homme; elle a cependant une évolution cyclique et guérit spontanément, ce qui la distingue de la maladie humaine.

          - L'encéphalomyélite aiguë expérimentale est une affection démyélinisante du système nerveux central qui partage certaines caractéristiques cliniques avec la sclérose en plaques. Elle est obtenue par l'injection d'un broyat de cerveau associé à de l'adjuvant complet de Freund et est due à une réaction auto-immunitaire contre la protéine basique de la myéline (MBP).

          L'observation clinique des modèles spontanés et des modèles induits permet de faire des rapprochements avec la clinique humaine. Elle permet aussi d'apprécier l'efficacité des traitements.

       C) Etude des modèles expérimentaux de maladies auto-immunes

        Les observations biologiques permettent aussi de suivre l'évolution de la maladie et d'en comprendre le mécanisme. :

                    - Détection des auto-anticorps circulants, notamment par immunofluorescence et ELISA.

·        On peut tester la sensibilisation des lymphocytes T auxiliaires CD4+ auto-réactifs en réalisant des tests de prolifération immunoblastique in vitro : l'incubation des lymphocytes T auto-réactifs de l'animal ayant une maladie auto-immune avec l'auto-antigène déclenchant, entraîne une prolifération des lymphocytes se traduisant par une forte incorporation de thymidine tritiée mesurable au compteur de radiations ß. Si la réaction in vitro est prolongée, les lymphocytes T CD4+ auto-réactifs peuvent activer des lymphocytes T cytotoxiques CD8+ auto-réactifs capables de lyser une cible cellulaire portant l'auto-antigène. La lyse se mesure généralement par la libération de 51Cr préalablement fixée sur la cible.

·        On peut aussi évaluer la production de cytokines et de chimiokines in vivo au cours de la réaction auto-immunitaire in vitro, par dosage ELISA ou par détection des ARNm spécifiques par RTPCR quantitative.

·        Etude histologique des tissus lésés et détection de dépôts d'auto-anticorps et de complément par immuno-histochimie ; identification des cellules immuno-compétentes infiltrant les lésions grâce aux marqueurs de populations cellulaires en immuno-cytochimie.

·        Enfin, des expériences de transfert sont indispensables pour montrer que les cellules immuno-compétentes ou les auto-anticorps sont responsables de la maladie. Le transfert adoptif de cellules T (éventuellement fractionnées en sous-populations) déclenche la maladie chez les souris receveuses non auto-immunisées quand ce sont les lymphocytes T qui sont les médiateurs de la maladie. Les souris donneuses et les souris receveuses doivent être syngéniques pour que les cellules transférées ne soient pas immédiatement détruites. L'étude du rôle pathogène des auto-anticorps est faite par transfert passif du sérum ou des Ig purifiées d'un animal malade à un receveur syngénique sain.

III – Les instruments de la réponse immunitaire

A) Les auto-antigènes 

Les lymphocytes auto-réactifs et les auto-anticorps reconnaissent des auto-antigènes, présents sur les tissus propres de l’organisme.

Certains auto-antigènes sont spécifiques d’organe, c’est à dire qu’on ne les trouve que sur des cellules présentes dans un seul organe. C’est le cas, par exemple, de la thyro-peroxydase qui n’est exprimée que par les thyrocytes. D’autres auto-antigènes sont ubiquitaires, tels les mitochondries où les nucléo-protéines. Les auto-anticorps reconnaissent des épitopes particuliers sur les auto-antigènes. Alors qu’un auto-anticorps est dit "pathogène" lorsqu’il déclenche les lésions tissulaires de la maladie auto-immune, un épitope est dit "pathogène" lorsqu’il induit l’apparition d’un auto-anticorps pathogène. Tel est le cas, par exemple, d’un peptide de 40 résidus de la thyroglobuline dont l’injection avec de l’adjuvant déclenche une thyroïdite auto-immune chez la souris.

Les épitopes reconnus par les lymphocytes auto-réactifs et les auto-anticorps sont généralement communs à plusieurs espèces. Ce sont le plus souvent des protéines hautement conservées d’une espèce à l’autre, telles par exemple les désoxy-ribonucléoprotéines, les ribonucléoprotéines, les histones ou la thyroglobuline. Cette propriété est très commode pour le diagnostic biologique car elle permet d’utiliser des substrats antigéniques d’origine animale pour rechercher des auto-anticorps dans les sérums humains. Par exemple, les anticorps anti-muscle lisse sont détectés par immunofluorescence sur des coupes d’estomac de rat.

La détection des auto-anticorps apporte une aide au diagnostic positif et différentiel des maladies auto-immunes (tableau 1). Il convient cependant d’être toujours prudent lors de la découverte d’auto-anticorps car leur signification doit être interprétée en fonction de la clinique. Il est rare qu’un auto-anticorps à lui seul permette de poser avec certitude un diagnostic.

       B) Les cellules immuno-compétentes 

1 - Les lymphocytes T auto-réactifs 

Il y a, chez tout individu bien portant, des clones de lymphocytes T auto-réactifs, c’est à dire capables de reconnaître des épitopes autologues. Ces lymphocytes ont échappé à la sélection négative intra-thymique mais sont normalement tolérants aux auto-antigènes car ils ont été anergisés en périphérie : ce sont, par exemple, des lymphocytes porteurs de TcR anti-globules rouges, anti-thyroglobuline, ou anti-ADN.

1 – 1 - Génétique du TcR 

Il peut être utile de déterminer si certains gènes ou familles de gènes codant les domaines variables des TcR contribuent particulièrement à la prédisposition de l’individu à une maladie auto-immune particulière. On pourrait en effet, dans ce cas, imaginer de nouveaux traitements visant à éliminer sélectivement le ou les clones impliqués, en les ciblant avec des anticorps monoclonaux anti Vb ou anti Va administrés par voie générale. La détermination des gènes Vb ou Va surexprimés chez les patients atteints de maladie auto-immune peut se faire par hybridation de sondes spécifiques sur l’ARN des lymphocytes circulants.

Le principe de "l’immunoscope" consiste à amplifier les gènes Vb et Va d’un malade pour faire apparaître l’expansion anormale d’un ou plusieurs clones. L’étude des déterminants Vb et Va peut aussi se faire directement par cytométrie en flux à l’aide d’anticorps monoclonaux.

L’interprétation d’une surexpression de certaines familles de gènes chez les malades est souvent rendue difficile par l’existence du même phénomène chez les sujets normaux.

On a pu néanmoins montrer, par exemple, une expansion anormale de la famille Vb11 chez les jeunes souris NOD, et de la famille Vb8 chez les souris atteintes d’EAE.

Une maladie auto-immune risque donc de survenir quand un lymphocyte T auto-réactif perd son anergie. Il y a alors rupture de la tolérance naturelle vis à vis de l’auto-antigène spécifique. Par exemple, si c’est un lymphocyte anti-globule rouge, une anémie hémolytique auto-immune peut apparaître ou, si c’est un lymphocyte anti-thyroglobuline, une thyroïdite auto-immune sera déclenchée.

1 – 2 - Etude expérimentale des lymphocytes T auto-réactifs pathogènes 

Expérimentalement, le transfert adoptif des lymphocytes T d’un animal malade à un animal sain permet de savoir si les cellules ont perdu leur tolérance : dans ce cas les lymphocytes T du donneurs sont en effet capables de transmettre la maladie auto-immune au receveur initialement sain. Il convient, bien entendu, de réaliser ce type d’expérience à l’aide d’un donneur et d’un receveur appartenant à la même lignée pure, afin d’éviter une réaction allogénique et la destruction des cellules du donneur.

Ainsi, le transfert de lymphocytes T d’un rat atteint d’EAE entraîne, chez un rat receveur de même lignée, l’apparition de la maladie. Il convient cependant de noter que le transfert de la maladie ne s’opère que si les lymphocytes prélevés chez le donneur sont réactivés in vitro par l’auto-antigène (protéine basique de la myéline, MBP) avant d’être injectés au receveur, afin d’accroître le nombre de précurseurs.

Les expériences de transfert adoptif permettent aussi de déterminer quelles sous-populations lymphocytaires entrent en jeu dans les différents modèles expérimentaux, si l’on sélectionne les cellules injectées au receveur. Pour étudier le rôle pathogène des lymphocytes TH1 auto-réactifs, on injecte au receveur sain des splénocytes du donneur malade cultivés en présence de l’auto-antigène, d’IL-12 et d’Ac anti-IL-4. Ces conditions de culture induisent la différenciation préférentielle des TH1. L’ apparition de la maladie chez le receveur suggère le rôle pathogène de cette sous-population. Pour étudier le rôle des TH2, les splénocytes du donneur sont cultivés en présence de l’auto-antigène, d’IL-4 et d’Ac anti-IL-12. On constate alors que dans certaines maladies comme la polyarthrite rhumatoïde, le diabète de type I, ou la thyroïdite de Hashimoto, ce sont surtout les lymphocytes TH1 qui interviennent, tandis que dans le lupus érythémateux disséminé et la sclérose en plaque ce sont les lymphocytes TH2.

1 – 3 - Les lymphocytes B auto-réactifs et les auto-anticorps 

Les auto-anticorps naturels 

La présence, dans le sérum des individus en bonne santé, d’auto-anticorps "naturels" reconnaissant impunément des auto-antigènes, implique l’existence de lymphocytes B ayant des BcR de même spécificité. On détecte en effet dans le sérum de la plupart des individus, des auto-anticorps dirigés contre les protéines du cyto-squelette, la séro-transferrine, l’ADN dénaturé (mono-caténaire), les IgG et la thyroglobuline.

Ces auto-anticorps ont une faible affinité et, par conséquent, peuvent reconnaître une certaine gamme d’auto-antigènes ayant une réactivité croisée sans être strictement identiques. C’est ce que l’on appelle la "polyréactivité" des auto-anticorps naturels.

On observe des syndromes lympho-prolifératifs qui touchent les clones B producteurs de ces auto-anticorps naturels. Par exemple, au cours de la maladie de Waldenström caractérisée par la prolifération monoclonale de lympho-plasmocytes producteurs d’une IgM, l’immunoglobuline M elle-même monoclonale peut avoir une spécificité anti-actine, anti-vimentine, ou anti-thyroglobuline. Il est rare que des manifestations auto-immunes se produisent. Cependant, si l’IgM reconnaît l’auto-antigène I à la surface des globules rouges autologues, anémie hémolytique auto-immune appelée "maladie des agglutinines froides" peut alors apparaître. De même, une neuropathie périphérique sensitive peut survenir en cas d’IgM monoclonale spécifique d’une glycoprotéine de la myéline (anti-MAG).

Les auto-anticorps naturels sont codés par des gènes en configuration germinale, non mutés. Ils sont poduits par une sous-population de lymphocytes B porteurs du marqueur CD5 (B1a). Ils sont rares dans les organes lymphoïdes périphériques. Leur localisation n’est pas encore connue chez l’homme ; chez la souris, ils prédominent dans la cavité péritonéale. Cette sous-population de lymphocytes B se renouvelle lentement et il n’est pas certain qu’elle produise des auto-anticorps pathogènes.

Les auto-anticorps pathogènes

Une autre sous-population, les lymphocytes B2 (conventionnels) surtout localisés dans les organes lymphoïdes secondaires, contient des lymphocytes auto-réactifs. Ils sont anergisés et, dans des circonstances physiologiques, ne produisent pas d’auto-anticorps. S’ils sont stimulés spécifiquement dans des conditions qui leur font perdre leur anergie, la recombinaison des gènes d’immunoglobulines puis des mutations somatiques sont déclenchées, et l’on assiste à la commutation des isotypes et à l’apparition d’auto-anticorps de forte affinité potentiellement pathogènes.

De nombreuses homologies entre les domaines variables des IgM et des IgG anti-thyroglobuline suggèrent que les deux isotypes d’anticorps proviennent des mêmes précurseurs et que la commutation et la différenciation ont été induites par un antigène.

Le processus mutationnel qui accompagne la différenciation de lymphocytes B spécifiques d’Ag exogènes peut lui-même engendrer l’apparition d’auto-anticorps comme on l’a observé lors de mutations au sein de gènes codant un anticorps anti-phosphorylcholine : un acide aminé muté dans le CDR1 du VH transforme cet Ac antiphosphorylcholine en Ac anti-ADN. Les auto-anticorps peuvent donc résulter aussi de mutations d’un gène codant un VH spécifique d’un antigène exogène.

Des auto-anticorps de spécificités différentes peuvent être porteurs d’idiotypes croisés. Un anticorps anti-idiotype naturel peut donc se combiner avec plusieurs autres auto-anticorps de même idiotype. La constitution d’un réseau idiotypique est un élément de régulation permettant de limiter le risque d’émergence d’un ou plusieurs clones B qui subiraient la commutation isotypique et pourraient favoriser l’apparition d’une maladie auto-immune.

Génétique moléculaire 

Comme pour les lymphocytes T, il serait utile de savoir si la sur-représentation de certains BcR représente un risque ou joue un rôle dans la physiopathologie de certaines maladies auto-immunes. Malheureusement, l’interprétation des résultats est aussi difficile que pour les lymphocytes T. Ainsi, chez l’homme, 10% des lymphocytes B réarrangent normalement VH 18/2, un gène codant la partie variable des chaînes lourdes des Ac anti-ADN ; 10% des lymphocytes B de la moelle osseuse réarrangent normalement VH 4.21 qui code les anticorps anti-globules rouges. De telles observations sont cohérentes avec l’existence des auto-anticorps naturels de même spécificité, mais rendent difficile l’interprétation de l’expansion des mêmes clones chez les malades.

Etude expérimentale auto-anticorps pathogènes 

La responsabilité d’un auto-anticorps dans la physiopathologie d’une maladie auto-immune peut être établie par le transfert passif du sérum d’un malade à un animal sain. Aussi observe-t-on l’apparition d’un pemphigus vulgaire chez la souris après transfert du sérum d’un malade atteint de cette maladie. Le syndrome de Goodpasture (Syndrome néphrotique associé à une pneumopathie interstitielle hémorratique dû à des auto-anticorps réagissant à la fois avec la membrane basale glomérulaire et la membrane alvéolaire) peut être aussi transféré chez le singe par le sérum des malades.

Le transfert passif permet de déterminer précisément la nature des anticorps pathogènes, tels, par exemple, l’anticorps anti-ADN porteur de l’idiotype 16/6 particulièrement fréquent chez les patients atteints de lupus érythémateux disséminé. L’injection de cet auto Ac à des souris entraîne l’apparition d’un Ac anti-idiotype 16/6 (Ab1) puis d’un Ac anti-anti-16/6 (Ab2) qui a une spécificité anti-ADN Figure 2). Simultanément, un syndrome lupique apparaît chez les souris receveuses.

IV - Facteurs déclenchant l’auto-immunité

       A) Facteurs génétiques 

L’existence de facteurs génétiques a été suggérée depuis longtemps par l’observation de cas familiaux de maladies auto-immunes comme le lupus érythémateux disséminé ou la polyarthrite rhumatoïde. D’autre part, on observe dans certaines familles une diversité de pathologies auto-immunes (par exemple un lupus, plusieurs anémies hémolytiques auto-immunes, et thyroïdites de Hashimoto), qui suggère la présence de "gènes de prédisposition à l’auto-immunité. Semblablement, il y a des lignées de souris prédisposées aux maladies auto-immunes : soit qu’elles déclarent spontanément un lupus comme les souris (NZB x NZW) F1, soit qu’elles souffrent de thyroïdite après injection de l’auto-antigène, comme les souris CBA/J et contrairement à d’autres lignées non prédisposées.

Le complexe majeur d’histocomptabilité (CMH) est évidemment le premier système génétique qui vient à l’esprit quand on essaie d’établir un lieu entre le génotype et les maladies auto-immunes. Des gènes de l’auto-immunité pourraient être en déséquilibre de liaison avec certains gènes HLA, comme, dans un autre domaine, l’hémochromatose est associée à HLA-A3 sans qu’HLA-A3 soit le gène spécifique de la maladie.

Les molécules du CMH pourraient aussi intervenir directement dans la pathogénie des maladies auto-immunes :

·        en influençant la sélection positive et négative de certains clones auto-réactifs,

·        par leur capacité plus ou moins grande de présenter certains peptides auto-antigéniques pathogènes. C’est le cas pour la protéine basique de la myéline dont la présentation par certaines molécules de classe II de la souris est particulièrement efficace pour susciter une réaction auto-immunitaire. On connaît aussi l’exemple, chez l’homme, de la chaîne DQb: lorsqu’elle comporte en position 57 un résidu non chargé, le sujet est prédisposé au diabète insulino-dépendant de type I. Lorsqu’elle comporte un résidu chargé comme l’acide aspartique, on observe une corrélation statistique négative entre cette chaîne et la survenue de la maladie. La nature du résidu en position 57 affecte la configuration stéréo-chimique du complexe HLA DQ-peptide et sa reconnaissance par les lymphocytes TCD 8 + auto-réactifs. La même constatation a été faite au niveau de la chaîne IA-b des souris NOD prédisposées au diabète de type I.

La prédisposition à la polyarthrite rhumatoïde est liée à DR1 et DR4 . Le gène DR b1 possède différents allèles codant un motif Glu – Lys – Arg – Ala ou glu Arg- Ag Ala – Ala au 3ème domaine de variabilité. Ce motif peut modifier la reconnaissance du complexe HLA D-R -peptide par certains thymocytes ou lymphocytes auto-réactifs et influencer les sélections intra-thymiques ou la réaction immunitaire des cellules matures.

Le lupus érythémateux survient avec prédilection chez les sujets porteurs de l’haplotype HLA A1, B8, DR3, C4A QO qui traduit une délétion du gène codant le composant C4 du complément. Une délétion du gène C2 favorise aussi la survenue d’un lupus cf chapitre sur le complément).

B) Facteurs hormonaux

La forte prédominance féminine des maladies auto-immunes, en particulier des maladies non spécifiques d’organes telles que les connectivites, a été observée depuis longtemps en clinique.

La même observation peut être faite dans les modèles murins de lupus chez les souris (NZBxNZW) F1 et les souris MRL/lpr où les femelles sont plus fréquemment, plus précocément et plus gravement atteintes que les mâles. Les souris BXSB constituent une exception puisque, dans cette lignée, ce sont essentiellement les mâles qui souffrent d’un syndrome lupique. En règle générale, cependant, l’administration d’oestrogènes à fortes doses induit des poussées de la maladie chez la femme comme chez la souris. Il est d’ailleurs recommandé, chez les patientes lupiques, de ne prescrire que des contraceptifs oestro-progestatifs faiblement dosés. La grande fréquence du lupus érythémateux disséminé dans le syndrome de Klinefelter (XXY) constitue une illustration supplémentaire de l’influence des sécrétions hormonales sur les réactions auto-immunes, sans que le mécanisme soit connu.

       C) Agents infectieux 

Ni le génotype, ni le sexe, ni l’environnement ne suffisent à expliquer la survenue d’une maladie auto-immune, ainsi qu’en témoignent les nombreuses discordances observées entre des jumeaux homozygotes élevés dans les mêmes conditions. Il n’a cependant jamais été possible d’isoler un germe responsable d’une maladie auto-immune, pour plusieurs raisons : tout d’abord parce qu’un même germe microbien peut probablement induire des maladies auto-immunes différentes selon le génotype du malade infecté ; réciproquement, selon les individus, des germes différents peuvent déclencher la même maladie. D’autre part, si une infection amorce une réaction auto-immune, elle peut passer inaperçue car tout à fait bénigne, voire inapparente. Il est vraisemblable que quand la maladie auto-immune se déclare, la maladie infectieuse initiale est guérie et oubliée depuis longtemps.

Seules quelques situations morbides exemplaires permettent de rattacher une infection spécifique à des manifestations auto-immunes :

          - L’infection par Borrelia burgdorferii consécutive à une piqûre de tique peut être suivie d’arthro-myalgies, de radiculo-névrite et de méningite aseptique. Plus tardivement, peut survenir une atteinte articulaire semblable à la polyarthrite rhumatoïde, et une atteinte cutanée évoquant la sclérodermie. Ces manifestations sont particulièrement fréquentes chez les sujets DR2 et DR4 et s’accompagnent parfois de l’apparition de facteurs rhumatoïdes, plus rarement d’anticorps antinucléaires.

          - Une infection par le virus HTLV1 peut se compliquer en dehors d’une leucémie à lymphocytes, d’une myélite transverse se traduisant par une paraplégie spasmodique, et d’une inflammation des glandes lacrymales et salivaires très évocatrice de syndrome de Gougerot-Sjögren.

Le rôle direct des bactéries et des virus reste cependant controversé. Certains streptocoques, les "heat-shock proteins" présentes dans certaines mycobactéries, les virus EBV ont été incriminés dans la polyarthrite rhumatoïde ; des super-antigènes , des rétrovirus ont été suspectés dans d’autres connectivites sans qu’aucune démonstration de leur implication ait pu être faite, peut être pour les raisons exposées plus haut. Il n’en demeure pas moins que les agents microbiens, notamment viraux, sont considérés comme des agents étiologiques très probables des maladies auto-immunes.

V - Mécanismes hypothétiques de déclenchement de l’auto- immunité : Rupture de la tolérance naturelle.

Quel que soit le mécanisme envisagé, il permet une rupture de la tolérance des cellules imuno-compétentes auto-réactives anergisées.

A) Rôle d’une stimulation non spécifique polyclonale 

On peut susciter expérimentalement l’apparition d’auto-anticorps et même de manifestations cliniques d’auto-immunité en appliquant aux animaux une puissante stimulation polyclonale non spécifique :

Par exemple, la stimulation in vitro ou in vivo des lymphocytes B de souris par le LPS entraîne la production de facteurs rhumatoïdes, d’anticorps anti-ADN et d’anticorps anti-globules rouges. On observe une expansion des lymphocytes B spécifiques de l’ADN et même de lymphocytes B spécifiques d’haptènes synthétiques tels que le trinitrophényl. Des complexes ADN-Ac anti-ADN se déposent dans les glomérules rénaux des souris, y activent le complément et y déterminent des lésions de glomérulonéphrite caractéristiques du lupus érythémateux disséminé.

L’activation polyclonale des lymphocytes T par l’IL-2 peut aussi aboutir à la production d’auto-anticorps anti-thyroglobuline ou anti-globules rouges, ainsi que cela a été observé chez des patients cancéreux.

La stimulation lymphocytaire induite par l’interféron a lors d’une infection virale favorise aussi la survenue de manifestations auto-immunes.

En dehors de la stimulation par l’auto-antigène et d’une puissante stimulation polyclonale, une troisième condition expérimentale dont le mécanisme est controversé mais non spécifique s’accompagne de manifestations auto-immunes : la thymectomie. Chez les rats et les souris thymectomisés apparaissent en effet fréquemment des maladies auto-immunes spécifiques d’organes telles qu’une thyroïdite, une gastrite, une orchi-épididymite, une ovarite. Le transfert passif des lymphocytes T de ces animaux induit la maladie chez les receveurs, tandis que le transfert de lymphocytes T normaux chez les donneurs, les guérit de leur maladie auto-immune. Il est vraisemblable que ces manifestations pathologiques sont la conséquence de l’absence de sélection négative intra-thymique, ainsi qu’en témoigne l’enrichissement en lymphocytes TV b11+ chez les souris I-E qui, en l’absence de thymectomie, délètent cette sous-population.

Il est possible aussi que la thymectomie empêche la différenciation de lymphocytes T suppresseurs inhibiteurs des cellules auto-réactives, dont l’existence même est controversée.

B) Le mimétisme moléculaire 

Des souris transgéniques exprimant une glycoprotéine du virus de la stomatite vésiculaire (gp, VSV) sont naturellement tolérantes à cette gp : elles ne répondent pas à l’injection de gp VSV recombinante associée à un adjuvant. En revanche, si l’on injecte à ces souris transgéniques une suspension de VSV vivants, on constate une rupture de tolérance avec apparition d’Ac anti-gp VSV car d’autres protéines exprimées par les virus ont fourni la stimulation non spécifique capable d’ activer les signaux de costimulation membranaires et la production de cytokine adéquats. En outre, l’injection virale accroît, par l’intermédiaire de l’INF produit par les lymphocytes, le nombre de molécules du CMH capables de présenter l’auto-antigène à la surface des CPA. Dans cette expérience, le mimétisme moléculaire a donc entraîné une levée de l’anergie et une stimulation concomitante des signaux de co-stimulation.

Un autre exemple de mimétisme moléculaire est observé expérimentalement au cours de l’arthrite de Pearson induite chez le rat par l’adjuvant complet de Freund. Au cours de cette arthrite expérimentale qui présente certaines caractéristiques auto-immunes, on a pu en effet isoler un clone lymphocytaire T qui reconnaît à la fois la protéine HSP 65 de la mycobactérie présente dans l’adjuvant, et un antigène de spécificité croisée du cartilage de rat. Les lymphocytes T mémoires du liquide synovial des malades atteints de polyarthrite rhumatoïde reconnaissent aussi cette molécule HSP 65.

D’autres exemples peuvent être cités : la thyroglobuline bovine, qui a des épitopes croisés avec la thyroglobuline murine, induit une thyroïdite expérimentale chez la souris ; l’auto-antigène GAD, impliqué dans le diabète auto-immun, partage un épitope avec un virus Coxsackie ; l’antigène Ro/SS-A, qui a une réactivité croisée avec des protéines du faisceau de His, est reconnu par des auto-anticorps qui peuvent entraîner des troubles du rythme cardiaque chez le nouveau-né de mère lupique (cf chapitres sur le diabète et sur le lupus érythémateux disséminé).

C) L’apoptose 

Plusieurs données expérimentales suggèrent que les phénomènes apoptotiques jouent un rôle régulateur dans la réaction auto-immunitaire :

Chez la souris MRL/lpr, des lymphocytes T CD4, CD8+ polyclonaux s’accumulent dans les organes lymphoïdes secondaires. Ils prolifèrent juste avant les poussées de la maladie et stimulent in vitro la production d’Ac anti-ADN par les lymphocytes B. Cette accumulation de lymphocytes T est liée à l’absence de protéine fas chez les souris MRl/lpr.

L’expression chez la souris, du transgène bcl-2 humain (un gène anti-apoptotique) sous un promoteur de VH murin, inhibe l’apoptose des lymphocytes B, induit une prolifération polyclonale des pré-B, des B, et des plasmocytes. Une hypergammaglobulinémie apparaît ainsi que des anticorps anti-nucléaires dont des Ac anti-ADN.

L’apoptose peut aussi jouer un rôle déclenchant des phénomènes auto-immunitaires :

L’apoptose massive induite par les infections virales peut en outre, lors des modifications membranaires qui la caractérisent, entraîner l’exposition membranaire de certains auto-antigènes cryptiques généralement inaccessibles au système immunitaire. C’est le cas en particulier de la phosphatidylsérine normalement présente à la face interne de la membrane cellulaire et qui, dès les premières minutes du phénomène apoptotique, se trouve exposée à la surface cellulaire. Ainsi sont induits des auto anticorps anti-phosphatidylsérine qui ont une réactivité croisée avec les anticorps anti-cardiolipine détectés au cours du syndrome des anti-phospholipides.

D) Le démasquage d’ auto-antigènes séquestrés ou d’antigènes cryptiques :

Un certain nombre d’antigènes sont ignorés du système immunitaire car leur localisation histologique ou anatomique ne les met pas en contact des cellules immuno-compétentes (antigènes séquestrés): c’est le cas, par exemple, des antigènes du cristallin et des spermatozoïdes. Leur passage dans le sang peut être à l’origine de l’apparition d’auto anticorps et de manifestations cliniques d’auto-immunité. C’est le cas, par exemple, des auto-antigènes des spermatozoïdes, de la myéline, et de la substance du cristallin. Cette dernière, libérée à l’occasion d’un traumatisme, peut donner lieu à une endophtalmie auto-immune. Des phénomènes inflammatoires de la chambre antérieure d’un œil peuvent se compliquer d’une réaction auto-immune qui diffusera à l’autre œil où se trouvent les mêmes auto-antigènes (ophtalmie sympathique).

On a montré expérimentalement comment pouvait s’effectuer la rupture de tolérance à des antigènes ignorés par les cellules lymphoïdes : des souris transgéniques pour une gp du LCMV sous le promoteur de l’insuline, expriment la gp LCMV dans les cellules b de leur pancréas. Elles sont tolérantes à la gp LCMH recombinante, mais si on leur injecte une suspension de LCMH, elles font une insulite auto-immune avec infiltration de lymphocytes T CD8 + spécifiques de gp LCMV qui détruisent les cellules bêta des ilôts de Langerhans et entraînent un diabète insulino-dépendant avec auto Ac anti gp LCMV. La particule virale entière apporte les stimuli nécessaires à l’activation des lymphocytes T et au déclenchement d’une inflammation qui permet l’accès des lymphocytes aux cellules b du pancréas. L’agression puis la destruction de ces cellules est permise par l’existence d’un épitope commun à leur membrane et au LCMV. Un mimétisme moléculaire n’est donc pas étranger à ce type de rupture de tolérance.

D’autres épitopes, les épitopes cryptiques, sont ignorés du système immunitaire non en raison de leur localisation histologique, mais à cause de leur localisation au sein de la molécule antigénique. Le cellules lymphoïdes, en effet, peuvent être tolérantes à certains épitopes et méconnaître d’autres épitopes non présentés par les molécules de classe II du MHC. Ces épitopes présents au sein des auto-antigènes, mais vis à vis desquels les cellules lymphoïdes n’ont pas acquis de tolérance, peuvent susciter une réaction auto-immunitaire si, à l’occasion d’une réaction inflammatoire, ils se trouvent présentés par les molécules du CMH. C’est le cas, par exemple, des certains peptides cryptiques de la protéine basique de la myéline .

CONCLUSION :

Le mécanisme physiopathologique des maladies auto-immunes n’est donc pas parfaitement élucidé. Plusieurs hypothèses sont avancées, qui mettent en cause pour la plupart, des agents infectieux, notamment viraux. Il faut noter qu’en général les hypothèses physiopathologiques proposées ne sont pas exclusives les unes des autres, mais plutôt complémentaires.