Chapitre 19

MALADIES AUTO-IMMUNES NON SPECIFIQUES D’ORGANES :

LES CONNECTIVITES ET LES VASCULARITES

 

Les connectivites sont des maladies auto-immunes pouvant toucher tous les tissus de l’organisme. Elles se caractérisent cependant le plus souvent par des lésions cutanées, des douleurs articulaires et une atteinte de l’état général avec syndrome inflammatoire clinique et biologique. Cette triade symptomatique peut être dissociée et un individu peut ne présenter que l’un ou l’autre de ces signes. Ce sont les caractéristiques de la symptomatologie, la présence de certains auto-anticorps et l’éventuelle association avec des atteintes viscérales qui permettent de préciser le diagnostic différentiel entre les connectivites qui seront décrites dans ce chapitre : lupus érythémateux disséminé (LED) ou lupus systémique, dermatomyosite (DM), périartérite noueuse (PAN) ou panartérite noueuse, maladie de Wegener, Sclérodermie, et syndrome de Gougerot-Sjögren.

I – Le lupus érythémateux systémique

            Le LES se caractérise par des atteintes pluri-tissulaires polymorphes, erratiques, mal systématisées, souvent déconcertantes. Plus les manifestations sont nombreuses, plus le diagnostic est aisé, mais plus le pronostic est péjoratif, pouvant aller jusqu'à mettre en jeu la vie du patient. Au contraire, lorsque la maladie est mono- ou pauci-syptomatique, le diagnostic est hésitant, et il peut errer plusieurs mois, mais la vie du patient n'est pas menacée en l'absence d'atteinte d'un organe vital. Des critères ont été définis en 1982, et révisés en 1997 par l' "American College of Rheumatology", pour le diagnostic de la maladie (Tableau 1). Il est admis que qu'au moins 4 critères doivent être présents chez un patient pour que le diagnostic puisse être établi avec certitude.

Dans la majorité des cas le LED survient chez une femme jeune entre 20 et 30 ans. Les trois manifestations cliniques les plus fréquentes sont articulaires, cutanées et rénales. Chacune de ces atteintes a des caractéristiques qui permettent de la rattacher à la maladie lupique. La présence de certains anticorps anti-nucléaires et une diminution du complément dans le sérum permettent de confirmer le diagnostic.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

         A – Clinique

 

                      A - 1 - L'appareil locomoteur

 

            C'est l'appareil le plus fréquemment touché, puisqu'une atteinte articulaire ou osseuse est observée au moins une fois au cours de la maladie chez 95% des malades. Les atteintes articulaires, présentes chez 60% des patients, constituent schématiquement 2 tableaux selon leur allure évolutive:

            - La polyarthrite aiguë se manifeste par l'atteinte fluxionnaire de plusieurs articulations: surtout les doigts, les poignets, les genoux, les chevilles et les orteils au début, avec une tendance à la généralisation.

            - La polyarthrite subaiguë, moins inflammatoire, peut devenir chronique et être confondue avec une polyarthrite rhumatoïde. Les arthrites du LED, contrairement à celles de la polyarthrite rhumatoïde, n'évoluent pas vers la destruction articulaire. Elles peuvent en revanche se compliquer de ruptures tendineuses ("rhumatisme de Jaccoud") (Figure 1) entraînant des déformations: pouce en "z", doigts en "col de cygne", coup de vent cubital pouvant prêter à confusion avec une polyarthrite rhumatoïde. Les radiographies permettent de redresser le diagnostic en ne montrant aucune des destructions propres à cette dernière affection.

            Le LES peut aussi se compliquer d'ostéonécroses aseptiques indépendamment de la corticothérapie qui peut aussi les favoriser. Ces infarctus osseux frappent électivement la tête et les condyles fémoraux, les plateaux tibiaux. Ils peuvent survenir en dehors de toute poussée de la maladie et se traduisent par une douleur mécanique d'apparition brutale. La résonance magnétique nucléaire révèle les anomalies plus précocément que la radiologie standard. Les lésions de vascularite auxquelles on a pu attribuer l'ostéonécrose du lupus n'ont jamais été observées par les anatomo-pathologistes. Cette complication, d'autre part, survient souvent en l'absence d'un syndrome des anti-phospholipides favorisant les thromboses vasculaires: autant dire que l'on n'en connaît pas l'étiologie.

            Les muscles peuvent aussi être affectés par le LES. Les patients se plaignent de myalgies d'horaire inflammatoire et l'on constate souvent une élévation modérée des enzymes musculaires dans le sérum. Lorsqu'elle est pathologique, la biopsie musculaire montre une atrophie des fibres avec parfois une vascularite et un infiltrat lymphoïde.

Figure 1 : Rhumatisme de Jaccoud.

   

Photo : B Weill

 

 

A – 2 - La peau et les muqueuses

 

            Les signes cutanés varient de l' érythème en ailes de papillon (vespertilio) siègeant sur les ailes du nez, les pommettes, le front et le menton (15% des éruptions cutanées) (Figure 2),  aux ulcérations semblables à des morsures de loup (lupus). L'érythème est déclenché par l'exposition aux rayons ultra-violets B plus qu'aux rayons ultra-violets A.  A cause de cette photosensibilité, l'éruption ne se limite généralement pas au visage, mais peut s'étendre à toutes les zones cutanées exposées au soleil. 

            Environ 15% des malades ayant un LES ne présentent pas de vespertilio, mais un lupus discoïde chronique (LDC) caractérisé par des lésions papulo-squameuses très infiltrées, à évolution centrifuge, qui peuvent laisser des cicatrices indélébiles. Il existe aussi des LDC isolés, non accompagnés de signes systémiques. Seulement 5% d'entre eux évoluent vers le LES.

            Une forme particulière, le lupus cutané subaigu, s'individualise aussi bien cliniquement que biologiquement: les lésions érythémato-papuleuses extensives, souvent squameuses, ont un contour polycyclique et ont tendance à confluer. Après leur disparition, elles laissent souvent une dépigmentation avec parfois une atrophie épidermique. Le lupus cutané subaigu est fréquemment associé aux anticorps anti-Ro/SSA et à un déficit en fraction C2 du complément.

            D'autres lésions non spécifiques du lupus peuvent siéger sur d'autres parties du corps, notamment les membres. Ce peuvent être des lésions érythémateuses d'apparence banale ou, plus rarement, des bulles, un érythème polymorphe en cocardes, une urticaire, des lésions lichénoïdes ou une panniculite.

            En dehors des lésions propres du tissu cutané, la vascularite qui caractérise le lupus peut toucher les vaisseaux de la peau et entraîner des lésions nécrotiques. Les lésions, parfois discrètes, punctiformes, traduisent toujours l'évolutivité de la maladie. Il faut les rechercher au pourtour des ongles et à la pulpe des doigts et des orteils où elles apparaissent sous forme de taches purpuriques parfois ulcérées, souvent minuscules.

            Des lésions muqueuses, notamment buccales, mais aussi nasales, génitales et rectales peuvent être observées. Elles ressemblent à des aphtes mais sont moins creusantes. Parmi les phanères, ce sont surtout les cheveux qui sont atteints. Une alopécie en plaque, plus rarement diffuse, peut accompagner les poussées et régresse après la fin de la poussée.

            On observe le dépôt en bande d'immunoglobulines et de fractions du complément le long de la membrane basale dermo-épidermique (Figure 3). Ce "Lupus Band Test" (LBT) est particulièrement caractéristique du LES quand les dépôts sont constitués d'IgG et de C1q. Le LBT est positif dans plus de 75% des cas lorsque la biopsie est réalisée en peau pathologique, et dans 50% des cas en peau saine. La positivité est en faveur de l'évolutivité de la maladie. Des IgM, du C3 et d'autres fractions du complément peuvent se déposer mais ces dépôts sont moins caractéristiques du LES.

 

Figure 2 : Signes cutanés du LED.

  

  

Photo : B Weill

Figure 3 : Aspects de l’histologie cutanée du LED (Bande lupique).

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff, Ed DeBoeck Université

 

                      A – 3 - Le rein

 

            L'insuffisance rénale est rare puisqu'elle ne se manifeste que dans environ 10 % des cas de LES. En fait, l'atteinte rénale est probablement beaucoup plus fréquente, mais le plus souvent silencieuse sur le plan clinique, se limitant à une protéinurie (chez environ la moitié des patients atteints de LES). Lorsqu'elle doit se manifester, l'atteinte rénale est généralement présente dès la première poussée et peut révéler la maladie dont elle conditionne le pronostic. Il n'y a pas de corrélation entre la gravité de l'atteinte générale et celle de la néphropathie.

            L'atteinte rénale se traduit par une hypertension artérielle, une augmentation de la créatininémie, une protéinurie et une hématurie microscopique avec une hyperleucocyturie. Il est utile de la caractériser pour déterminer le traitement à appliquer.

Une ponction-biopsie rénale est indiquée lorsque le patient a une hypertension artérielle apparue dans le contexte du lupus ou des signes biologiques de souffrance rénale : protéinurie ou hématurie non expliquée par une cause urologique, élévation de la créatinine sérique. Les lésions histologiques observées après ponction-biopsie rénale sont rarement évolutives. Elles sont hierarchisées par "classe" et ne changent en principe pas au cours de l'évolution du lupus, bien que certaines aggravations aient été observées (Tableau 3)

Figure 4 : Aspect histologique d’une glomérulonéphrite.

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff, Ed DeBoeck Université

 

Tableau 3 : Atteintes rénales au cours du LED.

Classification morphologique

Corrélation anatomo-clinique

Classe I : glomérules normaux

A)     Normaux par toutes les techniques

B)    Dépôts en IF ou en microscopie électronique

Asymptomatique ou anomalies minimes (faible protéinurie et hématurie.

Classe II : Altérations mésangiales

A)         épaississement mésangial ou discrète hypercellularité

B)         Hypercellularité modérée

A)     Anomalies urinaires dans 30% des cas

B)    Anomalies urinaires dans 50% des cas

Classe III : Glomérulonéphrite segmentaire et focale

A)     Lésions nécrosantes actives

B)    Lésions actives et scléreuses

C)    Lésions scléreuses

Protéinurie constante, souvent supérieure à 1 g/l

Syndrome néphrotique dans 30% des cas

Hématurie

Insuffisance rénale modérée

Hypertension artérielle dans 30% des cas

Classe IV : Glomérulonéphrite diffuse

A)     sans lésions segmentaires

B)    avec lésions nécrosantes actives

C)    avec lésions actives et sclérosantes

D)    avec lésions sclérosantes

Protéinurie, hématurie, leucocyturie constante

Syndrome néphrotique dans 60% des cas

Hypertension artérielle dans 40% des cas

Insuffisance rénale fréquente

Classe V : Glomérulonéphrite extramembraneuse

A)     pure

B)    associée à des lésions de classe II

Protéinurie très élevée

Syndrome néphrotique

Insuffisance rénale rare

Classe VI : Sclérose glomérulaire évoluée

 

 

 

                     A – 4 - L'appareil respiratoire

 

L'atteinte la plus fréquente est la pleurésie (50% des cas), uni- ou bilatérale, parfois inaugurale, se manifestant par de la toux et des douleurs thoraciques. La ponction pleurale ramène un liquide inflammatoire riche en albumine et en cellules lymphoïdes, contenant parfois des anticorps anti-nucléaires. Leur détection ne s'impose généralement pas dans la mesure où ils sont présents avec une plus grande fréquence dans le sérum.

Plus rarement, on constate sur la radiographie et la tomodensitométrie du thorax, des infiltrats interstitiels dont la topographie varie au cours du temps. Les infiltrats de nature infectieuse sont de loin les plus fréquents au cours du LES. La nature lupique de lésions pulmonaires (20% des cas) ne doit donc être admise qu'avec circonspection et lorsque les tests microbiologiques sont négatifs. Les infiltrats lupiques régressent en général rapidement grâce aux corticoïdes, mais on peut craindre dans certains cas l'évolution vers une fibrose interstitielle (5% des cas) et l'insuffisance respiratoire chroniques qui ne seront plus sensibles à la cortico-thérapie. Les épreuves fonctionnelles respiratoires montrent un syndrome restrictif et une diminution de la capacité de transfert de l'oxyde de carbone qui s'aggravent au fil du temps.

                            Une hypertension artérielle pulmonaire est de survenue exceptionnelle au cours du LES.

 

 

                     A – 5 -  L'appareil cardio-vasculaire

 

          Le cœur: Des trois tuniques cardiaques, c'est le péricarde qui est le plus souvent touché (30%) des cas. Comme la pleurésie, la péricardite peut être latente, n'entraîne pas de tamponnade, régresse rapidement sous corticoïdes et n'évolue pas vers la constriction. La myocardite (10% des cas), liée à une vascularite coronaire, est très rare. Elle se traduit par des troubles du rythme, une tachycardie et finalement par une insuffisance cardiaque. Depuis l'utilisation des corticoïdes, l'endocardite verruqueuse de Libman-Sacks est devenue l'exception. Elle touchait essentiellement les valves mitrales et aortiques.

          Les vaisseaux: 20 % environ des patients éprouvent un syndrome de Raynaud aux doigts, mais aussi aux orteils et, plus rarement, au nez. Ces troubles vasomoteurs peuvent entraîner une gêne fonctionnelle, mais habituellement pas de nécrose des extrémités. La capillaroscopie montre une augmentation de la taille des capillaires mais aucun signe propre à la sclérodermie.

          Les gros troncs vasculaires comme la crosse aortique ne sont en principe pas atteints. En revanche, surtout si un syndrome des anticorps anti-phospholipides est associé, des thromboses artérielles ou veineuses, centrales ou périphériques peuvent survenir.

 

A – 6 - Le système nerveux

 

          Au cours du LES, peuvent survenir des atteintes du système nerveux central et du système nerveux périphérique.

          Le système nerveux central: la manifestation la plus fréquente est la céphalée, parfois d'allure migraineuse (25% des cas). La deuxième manifestation par ordre de fréquence (20 % des malades) est la comitialité généralisée, avec des signes électro-encéphalographiques d'épilepsie essentielle. Cette comitialité est parfois accompagnée de troubles psychiques. Les crises peuvent être indépendantes des poussées de lupus.

            Des troubles moteurs d'origine centrale, tels qu'une hémiplégie, une monoplégie, ou une paraplégie due à une myélite transverse, peuvent apparaître de façon brutale (15% des cas). Ils accompagnent généralement une poussée de LES et sont généralement de mauvais pronostic. D'exceptionnelles thrombophlébites du sinus longitudinal supérieur ont été observées.

            Le système nerveux périphérique est aussi souvent touché (15% des cas). Les atteintes peuvent inclure les nerfs crâniens comme les nerfs oculo-moteurs. La neuropathie périphérique se traduit généralement par une multi- ou une mononévrite due à une vascularite des vasa nervorum. Elle peut être confirmée par une biopsie neuro-musculaire éventuellement guidée par un électromyogramme préalable.

            Les phénomènes de vascularite responsables de l'ensemble des troubles neurologiques, aussi bien centraux que périphériques, peuvent faire partie d'un syndrome des anticorps anti-phospholipides; dans ce cas, on pourra trouver des anticorps anti-cardiolipine et anti-bêta 2-GP1 dans le sérum.

          Un syndrome méningé peut survenir exceptionnellement à l'occasion d'une poussée. Le LCR est inflammatoire, avec essentiellement des éléments lymphocytaires. Le diagnostic différentiel avec une origine infectieuse peut être difficile. La normalité du taux de CRP sérique est en faveur d'une méningite purement inflammatoire entrant dans le cadre de la maladie lupique.

            Le LES peut se compliquer de manifestations psychiatriques isolées qui inaugurent parfois la maladie. Il peut s'agir d'un syndrome dépressif, d'un délire, d'une désorientation, d'hallucinations ou d'une psychose paranoïde ou schizoïde. En l'absence d'autres signes cliniques évocateurs de la maladie, ou de syndrome inflammatoire, le diagnostic peut être très difficile.

            Il faut inclure dans les atteintes neurologiques, les complications oculaires. Ce sont, avant tout, des conjonctivites et des épisclérites, mais, outre des paralysies oculo-motrices dues à une neuropathie périphérique, on peut observer une vascularite rétinienne. Elle se traduit par des exsudats cotonneux typiques de la rétinite dysorique. Ils sont non spécifiques du LES et sont souvent associés à des hémorragies (5% des cas). Plus rarement, le fond d'œil révèle une thrombose de l'artère centrale de la rétine ou d'une artère cilio-rétinienne.

Figure 5 : Atteinte occulaire du LED.

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff, Ed DeBoeck Université

 

 

                     A - 7 - le foie et l'appareil digestif:

 

            Le foie: Le diagnostic différentiel entre une hépatite auto-immune et une hépatite lupique est parfois très difficile. Les signes cliniques et biologiques de la cytolyse hépatique sont les mêmes quelle que soit l'étiologie. Une élévation isolée des transaminases sériques est observée chez 40% des malades. L'association d'autres signes cliniques caractéristiques du LES, comme une atteinte cutanée ou rénale, peut permettre de clarifier le diagnostic. En leur absence, les investigations biologiques peuvent aussi orienter vers une étiologie: une hépatite auto-immune de type I s'accompagne d'anticorps anti-muscle lisse, une hépatite auto-immune de type II, d'anticorps anti-LKM-1. Dans les deux cas on peut détecter aussi des anticorps anti-nucléaires, mais en principe jamais d'anticorps anti-ADNn ni d'anticorps anti-Sm. Au contraire, au cours des atteintes hépatiques du LES ces derniers auto-anticorps sont souvent détectés, et si les anticorps  caractéristiques des hépatites auto-immunes sont présents, c'est en général à des taux très modérés. L'histologie hépatique n'est pas toujours d'une grande aide pour le diagnostic différentiel.

          Le tube digestif: les atteintes du tube digestif au cours du LES sont plus souvent d'origine iatrogénique, liées à la prise d'anti-inflammatoires, que spécifiques de la maladie. Les malades éprouvent dans 30% des cas des nausées, des douleurs abdominales et de la diarrhée. Les symptomes liés à une vascularite sont très rares et variables selon la topographie. En cas d'atteinte d'un gros tronc artériel, un syndrome pseudo-chirurgical peut survenir, aboutissant dans des cas exceptionnels, à une perforation intestinale. Une microvascularite peut entraîner un syndrome de malabsorption.

 

A – 7 - les organes lymphoïdes

 

          Une splénomégalie et des adénomégalies sont palpées dans 15% des cas.

 

       B - Biologie

 

          On peut distinguer les examens biologiques permettant de poser le diagnostic de LES et ceux qui permettent d'apprécier l'évolutivité de la maladie (Figure 4 et Tableau 4). Les examens complémentaires permettant de déceler les complications viscérales sont propres à chaque atteinte et ne sont pas envisagés ici.

Le premier examen biologique qui a permis de caractériser la maladie lupique est la formation in vitro de cellules LE. Bien que cet examen soit aujourd'hui obsolète et remplacé par la détection des anticorps anti-nucléaires (AAN), les cellules LE reflètent un phénomène physiopathologique probablement à l'origine des poussées de LES. Le phénomène LE représente en effet la phagocyose de cellules en apoptose, qui déclenche la réaction auto-immunitaire aboutissant à la production d'auto-anticorps anti-nucléaires et aux manifestations cliniques de la maladie .

 

B – 1 - Les auto-anticorps anti-nucléaires (AAN)

 

          Les AAN sont les marqueurs sériques les plus caractéristiques du LES. Ce sont des immunoglobulines spécifiques de différents composants nucléaires : acides nucléiques, histones, ribonucléoprotéines. Leur détection globale est réalisée en général par un test d'immunofluorescence indirecte sur un frottis cellules HEp-2, cellules malignes humaines possédant un noyau volumineux et donc particulièrement propices à la détection des AAN. Les résultats sont rendus en titres d'anticorps (Figure 5).

         

          L'interprétation d'une recherche d'AAN peut être difficile: d'une part, la présence d'AAN ne traduit pas toujours une maladie auto-immune. L'auto-immunité ne procède pas du mode "tout ou rien", et certains AAN (surtout lorsqu'ils sont de l'isotype IgM) peuvent être détectés chez des sujets ayant un syndrome inflammatoire non auto-immun. D'autre part, l'interprétation peut être rendue difficile par la faiblesse d'un titre d'anticorps. Un taux bas d'AAN peut n'avoir aucune signification pathologique chez un adulte, surtout s'il a plus de 70 ans. Un faible taux d' AAN  peut cependant traduire dans certains cas une maladie débutante et, chez l'enfant, il est rarement dépourvu de signification pathologique. La présence d'AAN dans un sérum doit donc être interprétée en fonction de la clinique car, si des AAN sont détectés chez 99% des patients ayant une poussée de LES, de nombreuses autres maladies inflammatoires auto-immunes ou non peuvent aussi en comporter.

          Pour permettre une interprétation du résultat des AAN, la confrontation clinico-biologique doit être doublée d'une détermination des spécificités de ces anticorps. Seules certaines spécificités permettent d'affirmer presque à tout coup le diagnostic de LES : ce sont les anticorps anti-ADN natif (AANn) ou à double brin, et les anticorps anti-Sm.

L' aspect de la fluorescence nucléaire des cellules HEp-2 peut être évocatrice: les anticorps anti-désoxyribonucléoprotéines (notamment anti-histones) confèrent une fluorescence homogène, les anticorps anti-ADNn une fluorescence périphérique et les anticorps anti-ribonucléoprotéines (dont les anticorps anti-Sm) une fluorescence mouchetée. D'autres aspects ont été décrits mais aucun aspect, même typique,  ne dispense de la réalisation de tests complémentaires qui, seuls, permettent de caractériser avec certitude la spécificité des anticorps (Tableau 5).

 

                              B – 1 – 1 -  Les anticorps anti-ADN natif :

 

Leur dosage est indispensable en cas de positivité des AAN car leur présence témoigne généralement que le patient est atteint d'un LES. En effet, 70% des malades ont au moins une fois des anticorps anti-ADNn au cours de l'évolution de leur maladie. La présence d'anticorps anti-ADNn est en effet exceptionnelle au cours d'autres affections que le LES.

          Etant donné le caractère capital de leur découverte pour le diagnostic et le pronostic, les anticorps anti-ADNn doivent être détectés par deux techniques reposant sur des principes méthodologiques différents. Les trois méthodes les plus couramment utilisées sont l'immunofluorescence indirecte sur Crithidia luciliae, la radio-immunologie (test de Farr) et les dosages immuno-enzymatiques (ELISA).

          Seuls les anticorps anti-ADNn de forte affinité, c'est-à-dire généralement les IgG, sont caractéristiques du LES. Ces seuls anticorps sont détectés sur Crithidia luciliae et par le test de Farr. Les tests ELISA, en revanche, détectent aussi les anticorps IgM de faible affinité non caractéristiques du LES. Il est donc indispensable, lorsque les anticorps anti-ADNn sont recherchés par ELISA, de doser séparément les IgM et les IgG qui, seules, permettent de poser le diagnostic de LES.

          On peut en effet rencontrer des IgM anti ADNn au cours d'autres connectivites comme la polyarthrite rhumatoïde ou au cours d'infections virales comme les hépatites. Une forte concentration d'IgM anti-ADNn peut même entraîner, parfois, une faible positivité du test sur Crithidia luciliae.

          Contrairement à la détection globale des AAN, la concentration des anticorps anti ADNn peut apporter des renseignements sur l'évolutivité du LES. Une augmentation rapide du titre des anticorps anti-ADNn traduit généralement l'évolutivité de la maladie et doit faire craindre une atteinte viscérale. Un taux élevé mais stable n'a pas cette valeur indicative. Il faut noter que pour apprécier l'évolutivité, la clinique et le taux du complément sont plus fiables que le titre des anticorps anti ADNn.

 

                              B – 1 – 2 -  Les anticorps spécifiques d'antigènes nucléaires solubles

 

          Ces anticorps reconnaissent des épitopes peptidiques constitutifs de molécules ribonucléoprotéiques. Ils sont couramment recherchés par immunoprécipitation en gélose selon la technique d'Ouchterlony ou par contre-immuno-électrophorèse (électrosynérèse) en utilisant un extrait de cellules thymiques de lapin (ECT) comme substrat. La détection par immuno-empreinte ("Western blot") procure des résultats parfois difficiles à interpréter et n'est donc pas utilisée pour le diagnostic médical. Des techniques immuno-enzymatiques  sont en cours de développement.

Les auto-antigènes ribonucléoprotéiques reconnus par les anticorps anti-ECT sont constitués de chaînes d'ARN U1, U2, U4, U5 ou U6 liées à des molécules protéiques A, B/B', C, D, E, F, G et à une molécule de 68 kDa.

          Les anticorps anti-Sm se lient aux protéines B/B' D, E, F, G communes aux 5 chaînes d'ARN. Les anticorps anti-Sm, exceptionnellement trouvés en dehors du LES, sont aussi caractéristiques de cette maladie que les anticorps anti-ADNn. En revanche, ils sont beaucoup moins souvent positifs (Tableau 4). En outre, contrairement aux anticorps anti-ADNn, leur concentration ne reflète ni un risque d'atteinte viscérale, ni l'évolutivité du LES.

          Les anticorps anti-U1 RNP reconnaissent la protéine de 68 kDa et les protéines A et C liées à la chaîne ARN U1. Ces anticorps, initialement décrits dans la connectivite mixte, sont fréquents dans le LES mais n'en sont pas spécifiques. On peut aussi les détecter au cours de la polyarthrite rhumatoïde, la polymyosite, la sclérodermie systémique, et au cours des lupus médicamenteux.

          Les anticorps anti-Ro/SSA : Parmi les anticorps anti-ribo-nucléoprotéines figurent aussi les anticorps anti Ro/SSA. Comme les antigènes Ro/SSA sont peu représentés dans le thymus de lapin, on utilise généralement la rate humaine comme substrat pour leur détection. Les anticorps anti Ro/SSA reconnaissent soit une protéine de 52 kDa, soit une protéine de 60 kDa fixée sur une chaîne d'ARN, sans que des différences dans la présentation clinique ou les complications soient associées à l'une de ces deux spécificités. Ils sont présents dans 30% des LES, mais peuvent être observés dans la polyarthrite rhumatoïde et surtout le syndrome de Gougerot-Sjögren où ils ont été décrits.

          Chez 1% des patientes atteints de LES,  on ne décèle pas d'AAN par immunofluorescence indirecte. Il semble que le pourcentage ait diminué depuis l'utilisation des cellules HEp-2, mais de telles situations s'observent toujours. Dans ces cas, on trouve généralement des anticorps anti-Ro/SSA par immunoprécipitation. Ils correspondent à des formes subaigues de LES comportant une atteinte cutanée extensive, parfois généralisée, avec une très grande photosensibilité. La présence d'anticorps anti-Ro/SSA est fréquemment associée à un déficit congénital en fraction C2 ou C4 du complément.  

          En outre, il est indispensable de rechercher les anticorps anti-Ro/SSA chez toute femme enceinte atteinte d'une connectivite car ces anticorps peuvent, dans 5% des cas, être pathogènes pour le myocarde foetal et entraîner un bloc auriculo-ventriculaire congénital. En effet, les myocytes foetaux expriment à leur surface des molécules de Ro (52 et 60 kDa) sur lesquelles peuvent se fixer des IgG maternelles anti-Ro qui ont franchi la barrière placentaire. Cette fixation peut entraîner un bloc-auriculo-ventriculaire congénital. La présence d'anticorps anti-Ro/SSA chez une femme enceinte rend donc nécessaire une surveillance cardiologique du foetus et un accouchement dans un milieu obstétrical apte à donner les soins requis à la naissance. 

          Les anticorps anti-La/SSB reconnaissent une protéine de 47 kD fixée sur une chaîne d'ARN. Ils ne sont présents que dans 10% des LES et sont toujours associés à un anticorps anti-Ro/SSA, sans que la réciproque soit vraie.

          Autres anticorps anti-nucléaires : des anticorps anti-PCNA ("Proliferating Cell Nuclear Antigen") sont détectés chez moins de 10% des malades atteints de LES. Ils reconnaissent une protéine auxiliaire d'ADN polymérase et caractérisent des formes graves de la maladie, avec atteintes rénale et neurologique fréquentes. De nombreux autres AAN peuvent être détectés aucours du LES, mais leur valeur diagnostique est faible.

 

B – 2 - Les anticorps anti-phospholipides

 

          Le syndrome des anticorps anti-phospholipides a été initialement décrit par Soulier et Boffa en 1981. Il se caractérise par des avortements à répétition, des thromboses veineuses et artérielles centrales et périphériques.

          L'association possible de ce syndrome à un LES, explique en partie les complications obstétricales observées au cours du lupus ( Tableau 6).

          Cette association explique ce que l'on appelait autrefois la "fausse positivité" de la sérologie syphilitique. Au cours du syndrome des anticorps anti-phospholipides apparaissent en effet des anticorps anti-cardiolipine responsables de la positivité des réactions sérologiques de la syphilis utilisant la cardiolipine comme substrat. Ces anticorps peuvent, en outre, reconnaître d'autres phospholipides comme la la phosphatidylsérine (proche de la cardiolipine), la phosphatidyléthanolamine, l'acide phosphatidique et le phosphatidylanositol. Ce sont cependant les anticorps anti-cardiolipine qui sont les plus constamment présents au cours du syndrome des anti-phospholipides, et c'est eux qu'il convient de rechercher à des fins diagnostiques.

          Les anticorps anti-phospholipides peuvent, en outre, se fixer sur certaines enzymes de la coagulation comme le facteur VIII, et exercer in vitro une activité anti-coagulante. Cette activité se traduit par un allongement du temps de céphaline-kaolin que l'on ne corrige pas par l'addition de plasma normal. L'expression "anticoagulant du lupus" est erronée puisqu'in vivo, ces anticorps entraînent au contraire des thromboses. Les anticorps anti-phospholipides peuvent aussi se fixer sur les plaquettes et entraîner une thrombopénie. Ils sont dosés par ELISA en présence d'un cofacteur, la bêta 2-GP1 apportée par le sérum utilisé pour saturer les puits de la plaque de microtitration. En présence de la bêta 2-GP1,  la cardiolipine forme un complexe reconnu par des anticorps polyclonaux de spécificité variable. Certains ne reconnaissent que la cardiolipine. Ils ne sont pas spécifiques du syndrome des anticorps anti-phospholipides et peuvent apparaître au cours de syndromes inflammatoires variés comme les infections virales, la cirrhose, la sarcoïdose et certains cancers. En revanche, les anticorps qui reconnaissent un épitope conformationnel du complexe cardiolipine - bêta 2-GP1 sont très spécifiques du syndrome des anticorps anti-phospholipides associé ou non à un LES.

 

B – 3 – Le complément sérique

 

          Au cours du LES,  le CH50 peut être abaissé de façon permanente à cause d'un déficit congénital en C2 ou en C4, ou de façon transitoire à cause d'une consommation de certaines fractions du complément lors des poussées de la maladie.

          Un patient sur deux a un déficit hétérozygote en C2 ou en C4. Dans ces cas, le CH50 est constamment abaissé, généralement autour de la limite inférieure de la normale. Ces déficits sont associés aux gènes HLA A1, B8 et DR3. En l'absence d'un déficit congénital, le CH50 est normal en dehors des poussées.

          En revanche, le LES est la seule connectivite où le CH50 est abaissé pendant les poussées. L'abaissement du CH50 est dû à une consommation de C3, de C4, et souvent de facteur B, traduisant l'activation du complément par les deux voies directe et alterne.

          Lorsque le LES est évolutif, on observe donc simultanément une diminution du taux sérique de CH50, C3, de C4 et de facteur B.

 

B – 4 – La vitesse de sédimentation globulaire

 

          Elle est accélérée pendant les poussées et revient, en principe,  à la normale pendant les phases de rémission. Une accélération de la VS n'est nullement caractéristique du LES, mais peut traduire un syndrome inflammatoire de n'importe quelle origine.

          La concentration plasmatique de la "C Réactive Protein" (CRP), n'est jamais augmentée au cours du LES, même pendant les poussées. Une augmentation de la CRP au cours d'un LES doit faire suspecter une complication infectieuse.

 

B – 5 – La numération-Formule sanguine

 

          On constate très souvent une anémie au cours de la maladie. Elle peut avoir plusieurs causes :

- normochrome, normocytaire et hyposidérémique, l'anémie reflète le syndrome inflammatoire.

- hypochrome, microcytaire et hyposidérémique, l'anémie peut traduire un saignement d'origine digestive consécutif aux traitements anti-inflammatoires. Elle est généralement modérée.

- associée à une réticulocytose, elle suggère une hémolyse et doit faire prescrire un test de Coombs. En fait, les anémies hémolytiques sont rares au cours du LES, ou alors elles se manifestent d'emblée, dans le cadre d'un syndrome d'Evans. En revanche le test de Coombs est positif dans 20 à 25 % des cas, même en l'absence d'hémolyse, révèlant la fixation d'IgG autologues et de complément sur les hématies.

          Une leucopénie, portant sur les lignées granuleuse et lymphocytaire, est très fréquemment observée. Son origine n'est pas univoque et peut être centrale ou périphérique, liée dans ce dernier cas à la production d'auto-anticorps anti-polynucléaires et anti-lymphocytes.

          De même, des anticorps anti-plaquettes peuvent expliquer la survenue d'un purpura thrombopénique parfois inaugural.

 

B – 6 – Electrophorèse des protides

 

          Il montre, surtout pendant les poussées, une hypergammaglobulinémie polyclonale qui n'a rien de spécifique du LES.

 

Figure 6 : Biologie du Lupus érythémateux systémique.

 

 

 

Figure 7 : Algorythme diagnostic.

 

 

 

 

 

       C - Physiopathologie

 

          Bien que plus de mille publications soient consacrées chaque année à la recherche sur la physiopathologie du LES, on compte encore dans ce domaine plus d'incertitudes que de connaissances assurées. Il est cependant établi aujourd'hui que la maladie résulte de la rupture de la tolérance naturelle vis-à-vis d'une série d' épitopes présents au sein des nucléosomes. Cette auto-immunisation est favorisée à la fois par le terrain génétique et par la survenue d' une agression capable d'induire la mort des cellules cibles par apoptose,  comme des radiations ultra-violettes ou un agent infectieux.

          Au cours de la mort cellulaire par apoptose, un des premiers phénomènes observés est la fragmentation de la chromatine qui entraîne la production de nucléosomes constitués de molécules d'histones (H1, H2A, H2B, H3 et H4) entourées d'un double brin de 150 à 180 paires de bases d'ADN  enroulé selon deux tours de spire. Très rapidement, les nucléosomes sont exprimés à la surface de la cellule en apoptose. Certains vont être relargués dans le milieu extérieur, d'autres vont être phagocytés avec la cellule apoptotique par des macrophages.

          Les macrophages vont traiter les différents auto-antigènes de la cellule phagocytée et présenter à leur surface, par l'intermédiaire de leurs molécules HLA de classe II, des peptides  dérivés des histones nucléosomiales. Ces peptides sont reconnus par des lymphocytes T CD4+ auto-réactifs. La phagocytose des cellules en apoptose est en outre suivie d'une forte production d'IL-6 et d'IL-10 par les macrophages. Dans le contexte inflammatoire lié à l'infection ou à l'agression physique, la reconnaissance des auto-antigènes est capable de lever leur anergie et l'environnement cytokinique favorise leur différenciation en lymphocytes TH-2.

          D'autre part, les nucléosomes libérés dans le milieu extérieur peuvent être captés par le récepteur d'antigène de certains lymphocytes B (BcR) auto-réactifs, comme par exemple des lymphocytes B reconnaissant l'ADN natif constitutif des nucléosomes. Les lymphocytes B se comportent comme des CPA, endocytent les nucléosomes, les traitent, et exposent des peptides d'histones sur leurs molécules HLA de classe II membranaires. Des lymphocytes TH-2 spécifiques des peptides d'histone les reconnaissent et induisent la différenciation des lymphocytes B en plaSmocytes producteurs d'anticorps. Les anticorps produits sont des auto-anticorps spécifiques de l'antigène reconnu par le BcR, c'est-à-dire de l'ADN natif. C'est ainsi que des nucléosomes produits par des cellules en apoptose engendrent d'une part une réaction auto-immune de type TH-2 dirigée contre des histones (essentiellement H2A et H2B), et d'autre part la production d'anticorps anti-ADN natif par des lymphocytes B stimulés par les lymphocytes TH-2 anti-histones (Figure 6). Les mécaniSmes de production des autres auto-anticorps est probablement assez semblable car les autres auto-antigènes nucléaires sont aussi exposés à la surface des cellules apoptotiques.

          Ni les lymphocytes TH-2 ni les anticorps anti-ADN ne sont directement pathogènes. Ce sont les complexes formés entre les auto-anticorps et les auto-antigènes libérés lors de l'apoptose,  qui induisent des phénomènes inflammatoires par l'intermédiaire de l'activation du complément dans les tissus où ils se déposent. Ceci explique la chute du CH50 et la consommation des fractions du complément observées au cours des poussées du LES. Le fréquent déficit hétérozygote en C4 diminue les capacités des malades d'éliminer les complexes immuns et augmente le risque d'inflammation tissulaire.

          Lors d'une poussée ultérieure, dont l'élément déclenchant reste à préciser, les auto-anticorps seront prêts à se combiner avec les auto-antigènes fraîchement libérés et à former des complexes délétères pour les tissus. D'autre part, les lymphocytes TH-2 auto-réactifs à mémoire stimuleront de manière accélérée de nouveaux lymphocytes B pour leur faire produire de nouveaux anticorps dont l'ascension pourra être constatée dans le sérum.

          Si les phénomènes d'apoptose cellulaire n'entraînent pas la survenue d'un lupus systémique chez tous les individus, c'est que le patrimoine génétique joue un rôle dans le déclenchement des phénomènes d'auto-immunisation. La présentation des auto-antigènes par les molécules HLA des CPA est déterminée qualitativement et quantitativement par l'affinité de ces molécules entre elles. Certaines molécules HLA sont beaucoup plus efficaces que d'autres pour présenter des auto-antigènes, et les sujets qui en sont porteurs sont prédisposés aux maladies auto-immunes.

          Le lupus systémique peut donc être considéré comme une vascularite systémique provoquée par des complexes immuns. Les constituants auto-antigéniques de ces complexes résultent d'une réaction auto-immunitaire de type TH-2 vis-à-vis de composants nucléosomiaux rendus  accessibles lors d'une apoptose cellulaire massive.

 

D -  Evolution

- Spontanément, la maladie est rarement aiguë, fébrile, mortelle en quelques mois.

- Plus souvent, elle se fait par poussées déclenchées ou exacerbées par l'insolation, la grossesse, la diminution intempestive des corticoides; les poussées alternent avec des rémissions plus ou moins complètes, obtenues par le traitement, mais parfois spontanées.

- Le traitement a transformé le pronostic, et, en l'absence d'atteinte rénale, la survie peut dépasser 20 ans ou plus.

E - Il faut signaler certains problèmes particuliers posés par

1/ Le lupus érythémateux chronique, uniquement cutané, ne met pas en jeu le pronostic vital; le L.E. subaigu associe des signes cutanés voisins du lupus discoïde et des signes viscéraux et biologiques rappelant ceux du L.E.D. mais de gravité moindre.

2/ Le diagnostic différentiel avec la dermatomyosite peut être très difficile; l’association possible des deux maladies peut encore compliquer la question

3/ La polyarthrite rhumatoïde pose aussi des problèmes nosologiques avant l’apparition des lésions articulaires caractéristiques. Elle peut aussi être aasociée au LED.

4/ Les lupus induits par les médicaments (Au, Bi, As, Péni., Sulfamides, INH, Hydantoïnes, Hydralazines, Procaïnamide, d-pénicillamine) peuvent simuler cliniquement et biologiquement un LED. Ils ne comportent cependant jamais ni Ac anti-ADN natif ni Ac anti-Sm. (cf Chapitre sur les "auto-anticorps non spécifiques d’organes").

5/ L'étiologie virale du lupus fut un temps envisagée, en raison de la présence d'inclusions virales dans la peau ou le rein des malades. En fait, aucune preuve irréfutable n'a pu encore être apportée.

F - Traitement

1/ Il est basé sur la corticothérapie, dont la posologie dépend du degré d'extension viscérale, et en particulier du type histopathologique de l'atteinte rénale. Les doses d'attaque doivent être fortes, et diminuées très progressivement jusqu'à une dose d'entretien longtemps poursuivie. On peut ,au début, utiliser les bolus i.v. de Solumédrol dans les formes sévères.

2/ Les anti-paludiques ont un rôle plus modeste dans ce lupus systémique; insuffisants à arrèter une poussée, ils sont cependant associés à titre de traitement de longue durée et peuvent suffire dans les formes bénignes.

3/ Les immunodépresseurs, anti-métabolites (Imurel), moutardes à l'azote (Endoxan) pourront être discutés en cas de néphropathie ou de vascularite sévère, en surveillant la formule sanguine.

II – Les myopathies inflammatoires ou myosites

          Les myopathies inflammatoires comprennent la polymyosite (PM), la dermatomyosite (DM) dont l'incidence globale dans la population européenne occidentale  est de 10 / 106 et la prévalence de 5 / 105. Les myosites sporadiques à inclusions (MI) sont beaucoup plus rares. Les myosites sont les connectivites les plus fréquentes chez l'enfant. Bien que les dermatomyosites se manifestent sur un mode souvent aigu et les polymyosites sur un mode chronique, toutes les myosites ont en commun des atteintes musculaire, articulaire et respiratoire. Ces atteintes seront d'abord étudiées dans le cadre des polymyosites où elles restent isolées. Les atteintes cutanées de la dermatomyosite seront ensuite décrites, ainsi que les particularités de l'atteinte musculaire au cours des myosites à inclusions.

 

       A - Signes cliniques des polymyosites

 

Les myosites correspondent à une inflammation de cause inconnue des muscles striés. Cette atteinte se caractérise par des myalgies accompagnées d’une faiblesse musculaire symétrique qui prédomine aux ceintures scapulaire et pelvienne, au pharynx et à la sangle abdominale et s’étend progressivement en respectant les muscles lisses. La pression des muscles est douloureuse, leur consistance prend celle du carton et entraîne une limitation des mouvements.

Le myocarde peut être atteint, de manière le plus souvent asymptomatique: dans plus de 30% des cas on note des anomalies électrocardiographiques telles que des troubles de la conduction (blocs de branche, blocs auriculo-ventriculares, troubles de la repolarisation), mais les manifestations cliniques correspondant à ces troubles électriques sont très rares. La myocardite peut cependant évoluer vers la fibrose et l'insuffisance cardiaque.

Dans 20% des cas les malades éprouvent des arthralgies inflammatoires touchant préférentiellement les poignets, les genoux, les épaules et les mains. On connaît des formes enraidissantes avec ou sans syndrome inflammatoire.

Une atteinte respiratoire peur survenir au cours des myosites. Le déficit musculaire peut en effet entraîner une hypoventilation responsable de dyspnée. Cependant, dans 10% des cas, une toux et une dyspnée accompagnées de fièvres et d'images réticulo-nodulaires à la radiographie, résultent d'une pneumopathie interstitielle diffuse. Dans le cadre du "syndrome des anti-synthétases", la myosite et la pneumopathie interstitielle sont associées à un syndrome de Raynaud, une hyperkératose desquamante et fissurée des mains, et des anticorps anti-synthétases.

Il n'y a en principe au cours des myosites ni atteinte rénale ni atteinte neurologique.

 

                     B - Signes cliniques des dermatomyosites

 

Dans la dermatomyosite, l’atteinte des muscles est associée à une éruption qui siège avec prédilection aux membres et au visage. L'éruption peut exceptionnellement précéder l'atteinte musculaire. Il s’agit le plus souvent d’un œdème des paupières associé à un exanthème couleur lilas, étendu en lunettes au pourtour orbitaire. L'éruption se propage souvent sur les zones découvertes de la peau, en traînées erythémateuses ou lilacées le long des tendons extenseurs des doigts et sur la peau des  articulations des phalanges et des coudes. Des papules de Gottron, violacées, peuvent être observées à la face dorsale des phalanges, ainsi qu'une inflammation du pourtour de la cuticule des ongles qui est soulevée et enflammée (signe de la manucure).

Un syndrome de Raynaud survient dans 10 à 15% des cas.

Une calcinose se révèle cliniquement par des nodules durs sous-cutanés pouvant se fistuliser à la peau et laisser sourdre un liquide crayeux. Les calcifications sont aisément visibles sur les radiographies, sous la peau, au seion des muscles, au voisinage des articulations. La calcinose est surtout fréquente chez l'enfant où elle survient dans  30% des dermatomyosites.

L'apparition d'une vascularite nécrosante est exceptionnelle.

Les myosites peuvent être associées au lupus érythémateux disséminé, à la sclérodermie et au syndrome de Gougerot-Sjögren et, dans 15 à 20 % des cas,  à un cancer viscéral profond dont elles peuvent révéler l’existence.

 

Figure 1 : Signes cliniques de la dermatomyosite.

 

 

Photo : D Wallach

 

                     C - Signes cliniques des myosites à inclusions

 

Les myosites à inclusions sont des maladies chroniques entraînant un déficit et une atrophie musculaires progressives plus souvent asymétriques que dans les autres myopathies inflammatoires.

 

D - Examens complémentaires au cours des myosites

 

D – 1 - Les enzymes musculaires

 

l' élévation des enzymes musculaires dans le plasma traduit la lyse des muscles striés: ASAT, ALAT, LDH (lactico-déshydrogénase), aldolase, et CPK (créatine-phosphokinase), qui est la plus spécifique. L'étude des isoformes de la CPK est inutile. En revanche, la troponine et la MLC-1 (Cardiac myosin light chain 1) élevées au cours de la nécrose myocardique, sont utiles au diagnostic différentiel avec l'infarctus du myocarde.

 

D – 2 – La créatinurie

 

La lyse musculaire se traduit aussi par une créatinurie élevée  (0,50 à 1 g/24 heures).

 

D – 3 – Le syndrome inflammatoire

 

Le syndrome inflammatoire se traduit par une accélération de la vitesse de sédimentation, une augmentation de la CRP plasmatique et une hyperleucocytose.

 

D – 4 - Les auto-anticorps

 

Les auto-anticorps sont peu fréquents, mais certains peuvent apporter une aide considérable au diagnostic: Non pas tant les facteurs rhumatoïdes que l'on observe dans 20% des cas sans qu'ils aient la moindre spécificité pour ces maladies. Ni certains anticorps anti-nucléaires comme les Ac anti-RNP, anti-SS/A, anti-SS/B rencontrés dans environ 20% des PM et DM et présents au cours d'autres connectivites. En revanche, les Ac anti-Jo1 observés dans 50% des myosites avec atteinte pulmonaire ont un grand intérêt diagnostique car ils ont une grande spécificité pour les myosites et orientent vers une pneumopathie. Les anticorps anti-Jo1 (anti-histidyl-ARNt synthétase) font partie du groupe des anticorps anti-synthétases qui caractérisent le syndrome du même nom. Les autres anticorps anti-synthétases (anti-thréonyl-ARNt synthétase ou PL7, anti-alanyl-ARNt synthétase ou PL12, anti-isoleucyl-ARNt synthétase ou OJ, anti-glycyl-ARNt synthétase ou EJ) sont recherchés seulement dans les centres spécialisés. Les anticorps anti-PMS1, spécifiques d'une ADN-réparase, sont très spécifiques des myosites, mais ne sont détectés que dans environ 7% des cas. Les anticorps anti-SRP ( Protéines assurant un Signal de Reconnaissance pour le transport de particules au sein du cytoplasme) permettent de définir une forme clinique particulièrement grave et résistante au traitement. L'anticorps anti-Mi-2, spécifique d'une enzyme qui remodèle le nucléosome, est détecté essentiellement au cours des dermatomyosites. Beaucoup moins performants pour le diagnostic, les anticorps anti-Ku s'observent au cours des myosites associées à un lupus systémique, et les anticorps anti-PM/Scl au cours des myosites associées à une sclérodermie.

 

D – 5 – L’étude anatomo-pathologique du muscle strié

 

 

En fait, l’examen déterminant est la biopsise musculaire éventuellement orientée par des lésions myogènes découvertes à l’EMG : les myosites auto-immunes se traduisent par une nécrose des fibres musculaires entre lesquelles s’infiltrent des cellules inflammatoires lymphoïdes et macrophagiques.

Au cours de la polymyosite, les infiltrats inflammatoires entourent les zones nécrotiques et sont constitutés de macrophages et de lymphocytes CD8+. Dans les lésions de dermatomyosite, les infiltrats sont péricapillaires et constitués de macrophages, lymphocytes B et CD4+.

Au cours des myosites à inclusions, les fibres musculaires sont normales ou atrophiques, mais contiennent des vacuoles intracytoplasmiques de quelques dizaines de microns remplies de granulations éosinophiles correspondant à des structures tubulo-filamentaires d'environ 15 nm de diamètre visibles en microscopie électronique. Dans les formes sporadiques on observe aussi un infiltrat de macrophages et de lymphocytes CD8+ à prédominance péricapillaire.

 

E - Traitements

 

 

Il est basé sur la corticothérapie, d’abord à forte dose (1 mg/Kg/j de prednisone ou sous forme de bolus de méthylprednisolone) dans les polymyosites et les dermatomyosites, puis à posologie lentement dégressive. En cas de cortico-résistance ou de cortico-dépendance, il faut associer un immuno-dépresseur tel que l'améthopterine ou l'azathioprine pour parvenir à réduire les doses de corticoïdes.

La myosite à inclusions sont résistantes aux corticoïdes et aux immunosuppresseurs. Aucun traitement n'est actuellement connu pour cette affection.

 

F - Physiopathologie

 

Elle est mal connue. La nature des infiltrats inflammatoires suggère la prédominance d'une réaction auto-immunitaire au cours de la polymyosite et d'une réaction TH2 au cours de la dermatomyosite. Les auto-antigènes déclenchant la réponse auto-immune ne sont pas connus. Il est cependant remarquable que les molécules enzymatiques (synthétases, Mi-2, PMS1) reconnues par les auto-anticorps caractéristiques des myosites, sont toutes des cibles du Granzyme B ou des caspases.

 

III – La connectivite mixte de Sharp

Elle est définie par la présence dans le sérum, d’Ac anti-RNP, et associe:

- un syndrome de Raynaud,

- des doigts "boudinés",

- des arthralgies,

- des myalgies,

- une dysphagie.

Le pronostic en est en principe bénin. Il s'agit cependant d'une forme clinique bénigne de LED, qui peut à tout moment de son évolution, se tranformer en LED authentique avec tout son cortège de complications possibles.

 

IV – La Périartérite noueuse

 

          Décrite par KUSSMAUL et MAIER (1866), elle survient le plus souvent chez les adultes de 40 à 60 ans, répartie également entre les deux sexes. La PAN est une vascularite qui touche les artères de petit et moyen calibre selon une topographie segmentaire. Sa prévalante en Europe occidentale est d'environ 5/100 000, et son incidence de moins de 1 habitant pour 100 000 et par an.

A - Signes cliniques

Comme dans toutes les connectivites, le diagnostic est aisé quand le tableau clinique associe plusieurs signes, et difficile quand la maladie est mono-symptomatique.

Les signes généraux sont très fréquents (70% des cas) et associent de la fièvre, une profonde altération de l’état général avec amaigrissement intense et rapide, liée à une fonte musculaire.

Les myalgies (50% des cas), d'horaire inflammatoire, sont agravées par la palpation des masses musculaires, mais ne correspondent pas à une véritable myosite car elles ne sont pas associées à une élévation des enzymes musculaires.

Les arthralgies de type inflammatoire touchent les articulations des épaules, genoux, plus rarement les petites articulations. Elles ne se compliquent ni de déformations ni de destructions articulaires.

Les signes neurologiques correspondent le plus souvent à une atteinte asymétrique des nerfs périphériques (60% des cas). Il s'agit d'une multinévrite sensitivo-motrice douloureuse et paresthésiante, avec abolition des réflexes ostéo-tendineux dans les territoires correspondants qui sont parfois le sièges d'oedèmes segmentaires transitoires. L'EMG permet de confirmer le diagnostic en montrant des signes neurogènes avec diminution des potentiels d'action moteurs et sensitifs. Les atteintes du système nerveux central se traduisent par une comitialité ou la survenue de déficits moteurs dont la topographie dépend de celle de la vascularite cérébrale. Le liquide céphalo-rachidien est en principe normal. L'IRM montre, au sein de la substance blanche, des hypersignaux en T2.

Les signes cutanés les plus caractéristiques sont des nodules hypodermiques, souvent le long du trajet des artères des membres. On peut observer aussi un purpura pétéchial infiltré, et une vascularite nécrosante des extrémités, notamment au pourtour des ongles, qui peut entraîner des ulcérations voire une gangrène. D'autres manifestations cutanées, plus ares, sont cependant très évocatrices: le “livedo racemosa” qui se caractérise par des marbrures ou le "livedo reticularis" qui se traduit par un réseau de lividités.

L'atteinte rénale se traduit par une hypertension artérielle fréquente au cours de la PAN (20 à 30% des cas). Elle consiste en une néphropathie ischémique entraînant une insuffisance rénale dont le pronostic peut être très sévère. L'artériographie montre fréquemment la présence de micro-anévrysmes, et la ponction-biopsie rénale témoigne de l'existence de lésions artériolaires caractéristiques.

Les douleurs abdominales apparaissent dans 15% des cas. Elles sont dues à la vascularite dans le territoire de l'artère mésentérique supérieure et peuvent simuler une urgence chirurgicale. L'artériographie mésentérique supérieure révèle des micro-anévrysmes et des sténoses vasculaires. Cette vascularite peut entraîner des ulcérations du tube digestif, voire des perforations viscérales.

L'atteinte cardiaque consiste en une myocardite liée à la vascularite coronaire.

Une orchite très inflammatoire et très douloureuse, survient exceptionnellement mais est très suggestive du diagnostic.

 

NB: on distingue habituellement de la PAN, une autre forme de vascularite, la micropolyangéite (MPA) qui ressemble beaucoup à la PAN, mais s'en distingue par différents signes:

-        on peut observer dans la MPA une atteinte pulmonaire qui n'existe pas dans la PAN: dyspnée, toux, hémoptysies avec infiltrats mulmonaires à la radiographie et à la tomodensitométrie.

-        L'atteinte rénale de la MPA n'est pas artériolaire mais glomérulaire.

-        Les angiographies ne montrent pas de micro-anévrysmes dans la MPA.

Figure 1 : périartérite noueuse avec purpura palpable sur les cuisses.

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff, Ed DeBoeck Université

 

Figure 2 : nodules sous épidermique au cours d’une périartérite noueuse, vascularite avec rupture de la limitante élastique interne (Thr : thrombus et FN : nécrose fibrinoïde), infiltrat à polynucléaires neutrophiles (PNN) et éosinophiles.

Photo : Immunologie, 1990, I. Roitt, Ed Pradel

 

B - Signes biologiques

- La PAN est la seule connectivite qui ne s’accompagne pas d’anticorps antinucléaires ni, en principe, d'anticorps anti-cytoplasme de polynucléaires (ANCA). Dans 50% des cas de MPA on observe des ANCA spécifiques de la myéloperoxydase.

- L’examen qui permet de faire le diagnostic de PAN est la biopsie d’un nodule. On peut alors visualiser une artérite touchant un vaisseau de moyen calibre, comportant un épaississement de l’intima, une nécrose éosinophile de la média avec une rupture de la limitante élastique interne, et un infiltrat péri-adventitiel comportant des macrophages, des lymphocytes et des polynucléaires neutrophiles et éosinophiles.

Lorsqu' aucun nodule n'est palpable, une biopsie neuro-musculaire doit être réalisée, guidée par un EMG des membres ou, si l'EMG est normal, dans le territoire du sciatique poplité externe. Un aspect de vascularite peut alors être observé autour d'une artère musculaire ou autour d'un rameau nerveux.

- La NFS montre une hyperleucocytose au-dessus de 10 000 leucocytes /mm3 avec une hyperéosinophilie > 1000 /mm3.

- La VS et la CRP sont élevées

- En cas d’atteinte rénale, la créatinine sérique est élevée, une protéinurie et une hématurie microscopique apparaissent.

-        Il est fréquent que l’on retrouve chez les patients, la présence d’un antigène HbS circulant, ou du moins les anticorps anti-HbS correspondants.

 

C - Physiopathologie

 

Il est vraisemblable que la PAN résulte d'une stimulation antigénique chronique, par exemple par un agent infectieux, et que des complexes antigène-anticorps déposés au sein de l'endothélium déclenchent le processus inflammatoire qui caractérise la vascularite.

 

D - Evolution et traitement

En l’absence de traitement, la maladie peut évoluer vers la défaillance viscérale et la mort. Il existe de rares cas de guérison spontanée, et de nombreux cas de longue survie grâce à la corticothérapie qui reste le traitement de base, éventuellement sous forme de bolus dans les formes aiguës. Une immuno-suppression (alkylants, azathioprine, améthoptérine) doit être associée en cas d'efficacité insuffisante de la corticothérapie. Les formes associant une infection par le virus de l'hépatite B doivent être traitées en outre par des anti-viraux et échanges plasmatiques. Le traitement sera le plus souvent maintenu à vie, à des doses progressivement décroissantes jusqu'au seuil de réapparition du syndrome inflammatoire ou des symptômes.

 

V – La Maladie de Wegener

 

          La maladie de Wegener est une granulomatose bi-polaire touchant l'appareil respiratoire et les reins, dont souffrent environ deux personnes pour 100 000 habitants en occident. Moins de 0,3 cas pour 100 000 habitants apparaissent chaque année. Cette affection est aussi fréquente chez l'homme que chez la femme, survient à tout âge, avec une prédominance vers 40-50 ans, et environ 10% de formes pédiatriques.

 

A - Signes cliniques

 

-        Atteinte respiratoire: alors qu'en général, au cours des connectivites, c'est le poumon qui est préférentiellement touché, la vascularite de Wegener commence souvent par une atteinte des voies aériennes supérieures: sinus et cavités nasale (70% des cas).

o       Sinusite et rhinite: Le malade se plaint d'obstruction nasale chronique, de rhinorrhée séreuse, parfois sanglante, parfois surinfectée et purulente. La sinusite se traduit par des douleurs intenses de la face et du crâne. Ces signes ne régressent pas, même sous l'effet d'une antibiothérapie adaptée aux germes. L'ORL consulté observe une muqueuse nasale friable et hémorragique, et parfois une otite moyenne. Le caractère nécrosant est typique de la vascularite de Wegener et se concrétise par des perforations de la cloison nasale et des destructions osseuses sinusiennes visibles à la tomo-densitométrie.

o       Atteinte pulmonaire: elle se traduit par une toux, une expectoration souvent hémoptoïque, des douleurs thoraciques et une dyspnée.La tomo-densitométrie montre des opacités nodulaires et des infiltrats parfois excavés. La fibroscopie bronchique ne montre qu'une inflammation bronchique non spécifique. Le lavage broncho-alvéolaire rapporte surtout des polynucléaires neutrophiles, témoignat aussi d'une inflammation  non spécifique. Lorsque la vascularite de Wegener se présente initialement sous la forme d'une maladie pulmonaire, le diagnostic différentiel entre une vascularite et une infection grave peut donc être très difficile.

-        L'atteinte rénale, tout en ajoutant à la gravité de la maladie, facilite son diagnostic lorsqu'elle est associée aux atteintes respiratoires. Présente dans plus de la moitié des cas, elle correspond à une glomérulonéphrite nécrosante. Elle se traduit par une hypertension artérielle, une protéinurie, une hématurie et une élévation de la créatinine sérique. Elle peut évoluer très vite vers l'insuffisance rénale aiguë avec anurie et nécessite un traitement d'urgence. L'examen histologique montre une glomérulonéphrite nécrosante segmentaire et focale avec prolifération extra(capillaire segmentaire et focale dont l'extension définit la gravité de l'atteinte.

-        D' autres manifestations cliniques, moins caractéristiques de la maladie de Wegener, sont cependant fréquemment rencontrées:

o       Les atteintes cutanées sous forme de purpura infiltré et de nodules hypodermiques, peucvent donner le change avec une PAN

o       Les arthralgies et des myalgies ressemblent à celles que ressentent les patients au cours de toutes les vascularites.

o       L'atteinte oculaire XXX

o       Une multinévrite peut aussi compliquer la vascularite

 

Figure 1 : Critères diagnostiques de la maladie de Wegener.

 

B - Signes biologiques

 

-        Les critères histologiques de vascularite nécrosante sont caractéristiques mais parfois difficiles à obtenir ou à interpréter.

-        Le meilleur signe biologique est la présence d'anticorps anti-cytoplasme de poynucléaires (ANCA) dans le sérum. Ces anticorps sont détectés par immuno-fluorescence indirecte sur frottis de polynucléaires neutrophiles où ils déterminent une fluorescence cytoplasmique. Ils sont présents dans plus de 90% des cas de la maladie. Il faut ensuite déterminer leur spécificité par ELISA. Il existe des ANCA anti-protéinase 3, anti-myéloperoxydase, anti-cathepsine, anti-lactoferrine. Les ANCA anti-protéinase 3 (PR-3)  ont une spécificité de 100% pour la maladie de Wegener. Les autres ANCA peuvent être détectés dans de nombreuses connectivites et autres maladies inflammatoires comme les maladies inflammatoires chroniques auto-immunes de l'intestin –maladie de Crohn, rectocolite hémorragique).

Figure 2 : Anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires.

 

Maladie

Aspect Fluo

Antigène

Fréquence

Wegener

C

PR3

85%

PAN

C,P

MPO,PR3

Rare

Artérite à cellule géante

P

MPO

Rare

Vascularites médicamenteuses

P

MPO

Rare

Polyarthrite Rhumatoïde

P,X

MPO, Lactoferrine, cathepsine

Rare

LED

X

Lactoferrine, cathepsine

Rare

Maladie de Crohn

P,X

MPO, Lactoferrine, cathepsine

10-40%

RCH

P,X

MPO, Lactoferrine, cathepsine

40-80%

Cholangite sclérosante

P,X

MPO, Lactoferrine, cathepsine

65-85%

Figure 3 : Aspect des anticorps anti-cytoplasme des polynucléaires.

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff, Ed DeBoeck Université

 

C - Physiopathologie

Au décours d’une infection des voies respiratoires, l’agent infectieux stimule les macrophages et entraîne la production de TNF-a. Cette cytokine pro-inflammatoire agit sur les polynucléaires neutrophiles et favorise l’expression membranaire des granules cytoplasmiques du polynucléaires. Les antigènes reconnus par les ANCA se retrouvent ainsi exposés à la surface des polynucléaires. Les ANCA se fixent par leurs fragments Fab sur la protéinase-3 et par leur fragment Fc sur le RfcgRI. Cette double fixation entraîne l’activation et la libération d’IL-8 par le polynucléaire. L’IL-8 est une cytokine douée d’un pouvoir chimiotactique puissant sur les polynucléaires neutrophiles. La libération massive d’IL-8 entraîne donc un afflux massif de polynucléaires qui seront alors responsables de l’atteinte vasculaire.

Figure 4 : Physiopathologie de la vascularite de Wegener.

B - Traitement

 

En l'absence de traitement, la maladie est presque constamment mortelle. En cas d'atteinte rénale, si le traitement est différé, une insuffisance rénale aiguë définitive peut survenir: autant dire que le traitement de la maladie de Wegener est un traitement puissant et immédiat, associant d'emblée une corticothérapie et un immunosuppresseur (alkylant), éventuellement sous forme de bolus. Le traitement sera le plus souvent maintenu à vie, à des doses progressivement décroissantes jusqu'au seuil de réapparition du syndrome inflammatoire ou des symptômes.

 

V – Les Sclérodermies

A - Signes cliniques

Le terme de sclérodermie désigne des affections caractérisées par un épaississement fibreux de la peau et représentent deux grandes variétés d’affections :

- Les sclérodermies cutanées pures dans lesquelles les lésions sont limités à la peau

- Les sclérodermies généralisées ou systémiques dans lesquelles la fibrose touche également les vaisseaux et peut atteindre différents organes : tube digestif, poumon, rein et cœur.

Les sclérodermies sont des maladies rares, deux fois plus fréquentes chez la femme que chez l’homme et qui surviennent en général vers 40 ans.

- Les sclérodermies cutanées entraînent une sclérodactylie et peuvent s’étendre aux membres et au visage où elles limitent le degré d’ouverture de la bouche. Elles sont toujours associées à un syndrome de Raynaud qui précède parfois de 10 à 15 ans les manifestations cutanées. Ces formes, qui représentent environ la moitié des sclérodermies systémiques sont d’évolution lente et relativement bénigne. Dans ce groupe, on a individualisé le syndrome CREST qui associe de façon plus ou moins complète : des calcifications sous-cutanées, syndrome de Raynaud, atteinte oesophagienne (visible au radio-cinéma), sclérodactylie et télangiectasies.

- Les sclérodermies systémiques sont les plus graves car elles n’atteignent pas seulement la peau, mais aussi certains viscères comme le rein, les poumons, le cœur et le cerveau.

Les syndromes CREST ne mettent pas en jeu le pronostic vital mais peuvent entraîner une impotence fonctionnelle très grave. Au contraire, les sclérodermies systémiques sont souvent peu gênantes sur le plan fonctionnel, mais elles peuvent évoluer vers la mort.

Figure 1 : Sclérodermies cutanées.

 

Photo : B Weill

Figure 2 : Anomalies capilaires au cours des sclérodermies.

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff, Ed DeBoeck Université

 

Figure 3 : Atteinte oesophagienne des sclérodermies.

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff, Ed DeBoeck Université

 

Figure 4 : Calcification sous cutanées des sclérodermies.

Photo : Rhumatologie, 1992, S. Perrot, Ed Med-Line

       B - Signes biologiques 

En dehors des signes propres aux atteintes viscérales, les sclérodermies sont caractérisées par la présence de certains auto-anticorps. Des auto-anticorps antinucléaires sont détectés dans 60 % des cas, et des facteurs rhumatoïdes dans 30 % des cas. Certains anticorps antinucléaires permettent de définir la forme clinique de la maladie :

- on trouve en effet des Ac anti-centromères dans 85 % des syndromes CREST

- des anticorps anti-Scl70 dans 50 % des sclérodermies systémiques.

(cf chapitre des auto-anticorps non spécifiques d’organes).

C - Evolution et traitement 

L’évolution dépend de l’extension viscérale. Il n’ y a pas de traitement vraiment efficace. Les corticoïdes sont généralement contre-indiqués, surtout en cas d’atteinte rénale.

VI – Le syndrome de Gougerot-Sjögren

A - Manifestations cliniques 

          Le syndrome de Gougerot-Sjögren (SGS) ou syndrome sec se caractérise par un tarissement des sécrétions salivaires, lacrymales, nasales et vaginales. Dans plus de la moitié des cas, il est associé à un rhumatisme inflammatoire. L'association la plus fréquente est celle d'une polyarthrite rhumatoïde (25 à 50% des cas), puis d'une sclérodermie (5 à 15% des cas), du lupus systémique (5 à 15% des cas), de la polymyosite 6% des cas) ou d'une polyarthrite de nature indéterminée (2% des cas). La maladie atteint souvent les femmes d'âge moyen. Les signes articulaires peuvent précéder la xérostomie et la xérophtalmie.

La sécheresse oculaire, soupçonnée après l'interrogatoire du malade est confirmée par le test de Schirmer, le test au Rose Bengale et surtout par l'examen de la cornée au bio-microscope qui montre une kératite filamenteuse.

L'atteinte des glandes salivaires n'apparaît pas toujours en même temps que l'atteinte oculaire. Elle semble moins fréquente. On observe dans 50% des cas un gonflement des parotides, généralement bilatéral et symétrique, plus souvent transitoire que chronique, précédant la xérostomie. La dysphagie et les gastralgies sont fréquentes.

Figure 5 : Infiltration des glandes salivaires au cours du syndrome de Gougerot-Sjögren.

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff, Ed DeBoeck Université

 

Les connnectivites éventuellement associées au syndrome de GS peuvent être accompagnées des atteintes viscérales qui ont été étudiées dans les chapitres correspondants. Le syndrome de GS peut être accompagné d'autres maladies auto-immunes telles qu'une hépatite chronique, une cirrhose biliaire primitive, une thyroïdite, une anémie hémolytique à auto-anticorps, une vascularite, une myasthénie.

On distingue le syndrome sec primaire isolé, et le syndrome sec secondaire associé à une connectivite ou à une autre maladie auto-immune dont les manifestations cliniques sont parfois au premier plan. En fait, le syndrome est rarement isolé, puisqu'il est souvent associé à un syndrome de Raynaud, à un purpura d'origine vasculaire, à une polyadénopathie, à une splénomégalie, à des signes de myosite ou enfin à une atteinte spécifique rénale ou pulmonaire.

Plus de 60% des malades souffrent d'accidents allergiques médicamenteux.

Le SGS primaire peut se compliquer de localisations tumorales "pseudolymphomateuses" ou de véritales lymphomes malins tels qu'une macroglobulinémie de Waldenström.

B - Diagnostic biologique 

- Anticorps antinucléaires (AAN) : l'immunofluorescence sur coupes de foie de rat permet de détecter des AAN chez la moitié des patients atteints de SGS. En l'absence de LE, on ne trouve pas d'Ac anti-ADNn. Les Ac anti-ECT sont rencontrés avec la fréquence qui caractérise la connectivite associée au SGS. Des Ac anti-SS-B (ou anti-Ha ou anti-La) sont détectés dans 80% des SGS primaires; 70% des patients ont aussi des Ac anti-SS-A (ou anti-Ro). Les Ac anti-SS-B ne sont habituellement pas observés dans le SGS secondaire en dehors de l'association avec un LED. En revanche, les Ac anti-SS-A sont observés dans 30% des SGS secondaires et dans 20% des LED sans SGS. On détecte couramment des Ac anti-SS-A en l'absence d'Ac anti-SS-B, mais des Ac anti-SS-B sont exceptionnellement présents sans Ac anti-SS-A.

- Autres auto-anticorps : Des facteurs rhumatoïdes sont détectés par le test au latex (Singer-Plotz) ou le test ELISA dans 60% des cas. En cas d'association à une polyarthrite rhumatoïde, le test de Waaler-Rose est en général positif. La fréquence de positivité d'au moins l'un des trois tests atteint alors 90%.

          De nombreux autres auto-Ac peuvent être observés au cours de cette maladie : des Ac anti-thyroïde (anti-thyroglobuline et anti-thyroperoxydase), Ac anti-cellules pariétales de l'estomac, Ac anti-muscle lisse, et anti-mitochondries de type 2. Des Ac anti-hématies peuvent être responsables de la positivité du test de Coombs, mais les anémies hémolytiques auto-immunes sont rares.

- Modifications des immunoglobulines :

          - Immunoglobulines salivaires : la salive ne contient normalement comme immunoglobulines que des IgA sécrétoires. En cas de SGS cependant, des IgM puis des IgG peuvent apparaître; les IgM sont les plus caractéristiques de la maladie. Bien que le dosage lui-même soit aisé par immunodiffusion radiale ou par néphélométrie, le prélèvement salivaire requiert un cathétérisme du canal de Sténon qui est très douloureux. Le simple recueil de la salive intra-buccale donne des résultats aléatoires car la moindre affection bucco-dentaire se traduit par l'apparition d'IgG localement.

          - Immunoglobulines sériques : l'hypergammaglobulinémie est constante. La diminution des immunoglobulines sériques fait redouter la survenue d'un lymphome et doit faire rechercher l'apparition d'une immunoglobuline monoclonale par immuno-fixation ou immuno-électrophorèse.

C - Diagnostic anatomo-pathologique

          Seul l'examen anatomo-pathologique d'une glande exocrine permet de poser avec certitude le diagnostic de SGS. Les biopsies peuvent porter sur la muqueuse nasale (où elles sont douloureuses et parfois hémorragiques) ou de préférence sur la muqueuse labiale où se trouvent de nombreuses glandes salivaires accessoires. Il ne faut pas biopsier les glandes salivaires principales qui se fistulisent facilement. En cas de SGS on note une régression canalaire des acini, une fibrose péri-acineuse et une infiltration lymphoïde des glandes.

D - Traitement 

- Traitement local :

          - Larmes artificielles, ou gel-larmes, ou inserts pour la xérophtalmie.

- Salive artificielle (souvent mal supportée) pour la xérostomie.

- Traitement général :

          C'est celui de la connectivite associée au SGS secondaire, en tenant compte de la fréquence des allergies médicamenteuses. L'hydroxychloroquine (Plaquénil®) est souvent efficace, associée à de petites doses de prednisone (5 à 8 mg par jour).