Chapitre 21

DEFICITS IMMUNITAIRES CONGENITAUX

 

Les premiers déficits immunitaires décrits ont été les déficits immunitaires congénitaux: par leur rareté ils restent des problèmes de spécialiste, mais ont permis de progresser dans la connaissance du fonctionnement du système immunitaire humain.

Les déficits immunitaires de l'adulte sont, en revanche beaucoup plus fréquents et peuvent s'observer dans beaucoup de circonstances cliniques. L'apparition du SIDA a créé un véritable problème de santé publique à l’échelle mondiale.

I- Exploration des déficits immunitaires

A - Quand suspecter un déficit immunitaire ?

Chez l'enfant, l'attention est attirée par la répétition et la gravité des accidents infectieux. La répétition de morts d'enfants en bas âge dans la fratrie est aussi un élément important.

Lorsque le déficit concerne l'immunité humorale, le début clinique est généralement au 6ème mois, ce qu'on interprète comme traduisant l'épuisement des défenses reçues passivement de l'organisme maternel. Les infections à pyogènes touchant l'appareil respiratoire sont les plus fréquentes, alors que les infections mycosiques, en particulier candidoses, ou virales ou parasitaires sont souvent en relation avec un déficit de l'immunité cellulaire. On est également frappé par la survenue d'infections par des germes inhabituels, telles que les pneumopathies à Pneumocystis carinii. La possibilité d'infections graves avec des germes opportunistes, c’est à dire habituellement non pathogènes, conduit à éviter en cas de doute, les vaccinations par germes vivants atténués (risque de BCG ite, de vaccine généralisée, d'atteinte du SNC en cas de vaccination par virus poliomyélitique atténué).

Chez l'adulte, on constate aussi une sensibilité accrue aux infections se traduisant par leur répétition, la fréquence et la gravité des infections opportunistes et leur mauvaise réponse aux traitements.

B - Comment reconnaître un déficit immunitaire ?

1) Exploration des fonctions de la lignée B

Grâce aux examens les plus simples, il est déjà possible de confirmer la suspicion clinique: l'électrophorèse des protides sériques, et le dosage des immunoglobulines circulantes permettent une appréciation globale du taux des immunoglobulines circulantes. Les Ig sont rarement complètement absentes. Leur taux peut varier dans le temps chez un même malade; le déficit peut être sélectif pour une classe.

Une étude plus précise de la capacité de sécrétion d'anticorps spécifiques est permise par le dosage d'anticorps habituellement présents dans le sérum (dosage des anti-streptolysines O, recherche des isohémaglutinines naturelles anti-A ou anti-B (test de Simonin); le dosage d'anticorps spécifiques après injection d'un vaccin inoffensif (anatoxine, germes tués) permet une étude dynamique de la réponse immune.

La numération des lymphocytes de la lignée B dans la moelle et le sang circulant est possible grâce à l’étude des marqueurs membranaires qui permettent de déterminer le stade de maturation cellulaire (cf cours sur la différenciation des lymphocytes B). On peut dans certains cas détecter un bloquage de la maturation à un certain stade.

L’étude fonctionnelle des lymphocytes B du sang circulant est posible grâce à la stimulation in vitro par un mitogène de la lignée B (Lipopolysaccharide d'Escherichia Coli) et au dosage des immunoglobulines produites dans le surnageant des cultures.

2) Exploration des fonctions de la lignée T

Les examens les plus simples sont déjà très utiles pour confirmer ou infirmer la suspicion :

- La radiographie du thorax permet, chez le jeune enfant, d'évaluer la taille du thymus. Une aplasie thymique se traduit par une disparition de l'ombre correspondante.

- La numération globulaire permet d'apprécier le nombre de lymphocytes par mm3 de sang circulant. On sait que 80% d'entre eux sont, normalement thymodépendants: leur disparition se traduira donc dans la NFS.

Les réactions cutanées de type retardé (lecture après 48 heures) sont caractéristiques de l'immunité cellulaire; elles explorent la réaction à des allergènes que le sujet a normalement dû rencontrer au cours de sa vie. Cette exploration a donc plus de valeur chez l'adulte que chez le jeune enfant, sauf en cas d'infection chronique (par exemple test à la candidine négatif au cours d'une candidose). L'exploration est facilitée par l'association de plusieurs antigènes microbiens (tuberculeux, Ag streptococcique, toxines), ou mycosiques (candidine, trichophytine).

Le test au DNCB étudie la capacité de l'organisme à réagir selon le mode de l’hypersensibilité retardée type eczéma vis à vis d'un antigène qu'on ne rencontre pas dans la vie courante. L'épreuve comporte donc une application sensibilisante de DNCB, suivie 6 semaines à 2 mois plus tard de la réalisation d'un test épicutané avec le même produit. Le sujet normal se sera sensibilisé.

Lorsque ces examens simples confirment l'hypothèse d'un déficit de l'immunité cellulaire, on aura recours, pour préciser l'anomalie, à des examens plus spécialisés:

La numération des lymphocytes T du sang est réalisée grâce au marqueur CD3. L’évaluation quantitative des sous-populations auxiliaires et cytotoxiques recourt l’étude des marqueurs CD4 et CD8. Dans des cas très particuliers de déficits sévères, on peut rechercher dans le sang la présence de formes très immatures de thymocytes porteurs du CD44 et du CD25.

Etude fonctionnelle des lymphocytes T:

Test prolifération in vitro (appréciée par incorporation de thymidine tritiée) en présence d'antigènes communs tels que ceux utilisés pour les tests cutanés et de mitogènes de la lignée T non spécifiques, tels que la concanavaline A (ConA).

Dosage des cytokines dans le surnageant des cultures (IL-2, IFNg)

C - La biopsie ganglionnaire

La biopsie ganglionnaire peut être utilisée aussi bien pour l'étude de l'immunité cellulaire que de l'immunité humorale, éventuellement après avoir injecté 5 à 7 jours auparavant un antigène dans la région drainée par le ganglion. Il faut éviter cet examen chez les enfants déjà pauvres en glanglions car on les priverait ainsi d'un contingent de cellules lymphoïdes dont ils ont besoin, et on ouvrirait la porte à l'infection.

L'examen histologique du ganglion permet d'étudier la répartition des cellules lymphoïdes dans les zones folliculaires et paracorticales. Les premières sont désertiques en cas de déficit humoral ; ce sont au contraire les secondes qui sont pauvres au cours des déficits de l‘immunité cellulaire. Le déficit peut atteindre les deux lignées: tous les examens biologiques sont alors perturbés et l'image histologique du ganglion est uniformément désertique.

L'étude des plasmocytes de la sous-muqueuse intestinale (biopsie jéjunale) peut éventuellement remplacer celle d’un ganglion.

II- Formes cliniques des déficits immunitaires primitifs (ou congénitaux)

L'étude des déficits immunitaires primitifs a permis, dans les années 60, de confirmer chez l'homme la dualité des lignées B et T mise en évidence chez l'animal, puisque des tableaux cliniques et biologiques différents correspondent à l'absence de développement de l'une ou l'autre lignée. Lorsque le déficit porte sur les deux lignées, la maladie est d’une très grande gravité.

A - Déficits de la lignée B

1) L'agammaglobulinémie infantile liée au sexe

L'agammaglobulinémie infantile liée au sexe est le premier déficit immunitaire décrit (BRUTON, 1952). La transmission est récessive, ne touchant que le garçon. La maladie est dépistée entre 9 mois et 2 ans devant la répétition des infections microbiennes dans la sphère ORL ou respiratoire. Ces infections ne s'accompagnent ni d'adénopathies, ni d'hypertrophie des amygdales et des végétations adénoïdes. L'hypersensibilité retardée est en revanche intacte. En outre, les troubles de la régulation immunitaire chez ces malades sont attestés par la survenue fréquente de syndromes cliniques évoquant une connectivite. On peut observer aussi des troubles intestinaux à type de malabsorption.

Le traitement par injections de gammaglobulines humaines répétées indéfiniment tous les mois permet généralement une prévention satisfaisante des infections.

Les examens immunologiques montrent le taux très bas des 5 classes d'immunoglobulines avec absence d'anticorps "naturels". On ne trouve pas de lymphocytes B matures car il y a un blocage de la différenciation au stade pré-B. Il existe un modèle animal très ressemblant : le déficit " X-linked immunodeficiency " (Xid) de la souris.

La maladie de Bruton typique est rare. Elle ne doit pas être confondue avec l'agammaglobulinémie commune variable, plus fréquente.

2) L'hypogammaglobulinémie commune variable

Cette dénomination recouvre des tableaux assez disparates de déficits immunitaires de la lignée B avec baisse de toutes les Ig, plus rarement de certaines classes seulement. L'âge du début clinique est variable, souvent tardif au cours de l'adolescence, mais on pense généralement qu'il existe un facteur génétique, attesté par des formes familiales. Si certaines formes sont caractérisées par l'absence presque totale de lymphocytes B, d'autres malades ont des ganglions hyperplasiques avec des lymphocytes B nombreux, mais dont la différenciation semble avorter. L’hypogammaglobulinémie commune variable est souvent associée à un déficit de la fraction C4 du complément, ce qui peut expliquer la fréquences des manifestations auto-immunes (cf chapitre " Complément "). Il y a aussi chez ces patients une fréquence anormalement élevée de lymphomes.

3) Les déficits sélectifs

Le déficit peut porter sur une seule classe d'immunoglobuline. C'est le cas du déficit sélectif en IgA qui est le déficit immunitaire congénital le plus fréquent (1 sur 800 ou 1 000 individus). La transmission est génétique , le plus souvent récessive autosomique.

Ce déficit est souvent asymptomatique; ailleurs se manifeste par des infections broncho-pulmonaires à répétition, ou des troubles digestifs à type de malabsorption avec diarrhée chronique. Les plasmocytes à IgA sont absents de la muqueuse intestinale. Les maladies auto-immunes sont fréquentes.

La thérapeutique substitutive est déconseillée, car la tolérance naturelle aux IgA semble manquer, et des accidents de type anaphylactique peuvent se produire lors des injections de produits sanguins humains.

B - Déficits de la lignée T.

1) Le syndrome de DI GEORGE (1965)

C'est une embryopathie par défaut de développement des 3èmes et 4èmes fentes branchiales qui entraîne une agénésie ou une hypoplasie du thymus et des parathyroïdes. Le syndrome peut donc se révéler par une tétanie néonatale hypocalcémique. Ultérieurement, apparaissent des infections surtout virales et mycosiques, de gravité proportionnelle au déficit. Les vaccinations anti-varioliques, le BCG peuvent entraîner une maladie généralisée (vaccine généralisée, BCGite) souvent mortelle. Dans le formes graves, l'évolution spontanée se fait vers la mort en deux ans dans un tableau de dépérissement caractéristique de la lymphophtisie.

Les lympocytes circulants sont essentiellement des lymphocytes B, mais la concentration sériques des immunoglobulines est souvent abaissée du fait de l’absence de coopération T-B. Les réactions d’hypersensibilité d'hypersensibilité cellulaire sont diminuées voire inexistentes.

Il existe un modèle expérimentale murin, celui de la souris Nude dépourvue de thymus.

2) L'aplasie lymphocytaire normoplasmocytaire

L'aplasie lymhocytaire normoplasmocytaire (NEZELOFF, 1964) est, par certains aspects, le pendant du syndrome de Bruton. Sa transmission est récessive autosomique, mais il existe aussi des cas sporadiques.

Elle se caractérise par des infections virales et mycosiques.

On observe une grande lymphopénie T, l’absence de réactions d’hypersensibilité retardée et de prolifération T in vitro. Le taux des immunoglobulines est subnormal; on peut, dans certains cas, observer une hypo-IgA avec hyper-IgE.

3) Déficits portant sur les deux types d'immunité

Cette association est à l'origine d'affections extrêmement graves: déficits combinés sévères. Les deux populations de lymphocytes T et B sont déficientes. Seuls persistent assez souvent les grands lymphocytes granuleux : les cellules NK.

Le type en est l'athymo-lymphoplasie ou agammaglobulinémie de type suisse, car décrite à Berne par GLANZMANN. Autosomique récessive, la maladie débute vers le 3ème mois, et la mort est inéluctable avant la 2ème année. En fait il existe de nombreuses formes, dues à des troubles variés de la différenciation des cellules précuseurs lymphoïdes. On connaît en particulier des déficits enzymatiques (adénosine désaminase, purine nucléoside phosphorylase) et des défauts d’expression des molécules de classe I et de classe II du MHC responsables de cette grave maladie. L’absence de certaines molécules d’adhésion entraîne aussi des déficits variables dans leurs manifestations, selon le type de costimulation inhibé.

Les déficits enzymatiques sont des candidats à la thérapie génique, tandis que les autres blocages de la différenciation sont actuellement justiciables de greffes de moelle ou de thymus.

4) D'autres syndromes immunodéficitaires sont plus difficiles à classer.

Il faut citer:

a/ L’ataxie télangiectasie, décrite par BARR en 1941, et dont l'aspect immunologique est d'individualisation récente (THIEFFRY, 1961).

Héréditaire, récessive, autosomique, elle est caractérisée par une ataxie cérébelleuse progressive, des télangiectasies cutanées et conjonctivales favorisées par l'exposition solaire, des infections pulmonaires répétitives. L'enquête immunologique révèle un déficit en IgA parfois en IgE, une diminution des réactions d’hypersensibilité retardée et de la réponse proliférative T in vitro.

L’origine de la maladie n’est pas connue.

b/ Le syndrome de WISKOTT-ALDRICH atteint le garçon. Il associe des infections ORL répétitives, un eczéma et une thrombopénie.

L'évolution est constamment mortelle avant 5 à 7 ans. Les troubles de l'immunité touchent les deux secteurs cellulaires et humoraux de façon dissociée; l'IgM est abaissée alors qu'IgA et IgE sont élevées. ne atteinte fonctionnelle plaquettaire est concomitante.

Le mécanisme de cette affection n’est pas connue. Cependant on sait que les lymphocytes T présentent des anomalies de CD43 et du cyto-squelette, avec rigidité de la memebrane cellulaire et diminution du nombre des micro-villosités membranaires.

C - Déficits des systèmes de défense "non spécifiques" 

1) Déficits en facteurs du complément:Cf Chapitre " Complément ".

2) Déficits portant sur la fonction des polynucléaires neutrophiles

A/ Le syndrome de CHEDIAK-HIGASHI associe des infections à répétition, une hépatosplénomégalie, un albinisme partiel, des maladies du SNC et une fréquence élevée d'affections malignes lymphoïdes. Il est dû à une atteinte des lysosomes, se traduisant par la présence de granulations géantes dans les polynucléaires, bien visibles lors de l'observation des frottis sanguins. Le pronostic est médiocre en raison de la sensibilité aux infections et aux lésions neurologiques associées.

B/ La maladie granulomateuse chronique réalise des infections multiples à pyogènes, souvent de faible virulence (staphylocoque, épidermites, serratia marcescens) dans des territoires variés (poumon, ORL, ostéomyélite, lymphadénites).

Le trouble principal est l'incapacité de tuer les bactéries phagocytées par les polynucléaires neutrophiles Ce déficit est traduit par l'absence de réduction du nitro bleu de tetrazolium, test très simple à réaliser. La transmission est récessive liée au sexe. Une diminution de la réduction du NBT permet d'identifier les porteurs sains de la tare.