Chapitre 8

DIFFERENCIATION DES LYMPHOCYTES B

 

I - Différenciation des lymphocytes B dans la moelle osseuse.

Les cellules B se développent à partir des cellules souches lymphoïdes dans le tissu hématopoïétique du foie fœtal à partir de 8 à 9 semaines de gestation chez l’homme. Le foie fœtal est ensuite relayé par la moelle osseuse hématopoïétique. La lymphopoïèse B a lieu dans l’os spongieux. La maturation s’effectue de l’endosteum vers le sinus veineux central. Les progéniteurs immatures, au contact des cellules endostéales, se différencient en cellules pré-B qui, en grande majorité, meurent par apoptose et sont phagocytées par les macrophages. Les cellules qui survivent poursuivent leur différenciation pour atteindre le sinus veineux central. Le micro-environnement des cellules réticulaires ainsi que des cytokines, comme l’IL-7 ou SDF-1, jouent un rôle essentiel dans la différenciation des cellules B.

A partir du sinus veineux central, les cellules B immatures passent en périphérie et gagnent les organes périphériques secondaires où s’effectueront les étapes de maturation dépendantes de l’antigène : ganglions lymphatiques, rate, formations lymphoïdes associées aux muqueuses. La moelle osseuse peut, en cas de stimulation intense et généralisée, réagir comme un organe lymphoïde périphérique et comporter des follicules B avec des centres germinatifs. Les lymphocytes B-1, contrairement aux lymphocytes B-2 conventionnels, ne sont pas produits par la moelle osseuse. Ils dérivent du foie fœtal, et migrent dans les cavités pleurale et péritonéale où ils se multiplient par mitose.

Figure 1 : Différenciation des cellules B dans la moelle osseuse

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff. Ed DeBoeck Université

 

La différenciation des lymphocytes B dans la moelle peut être suivie grâce à des marqueurs de différenciation.

Ces marqueurs peuvent être des marqueurs de surface, des protéines cytoplasmiques, des transcrits, des modifications génétiques.

Les cellules B se différencient à partir des cellules souches lymphoïdes en cellules B matures. Les gènes codant les anticorps sont réorganisés au cours du développement des cellules B. Les cellules Pré-B expriment seulement des chaînes m intracytoplasmiques. Les cellules B immatures n’ont que des IgM de surface et les cellules B matures des IgM et des IgD. La maturation ultérieure des cellules B dépend de la présence de l’antigène spécifique du récepteur du lymphocyte B. Cette maturation a lieu dans les organes lymphoïdes secondaires. Après stimulation antigénique, les cellules B sont activées, se transforment en lymphoblastes, prolifèrent et se différencient en plasmocytes ou en cellules B à mémoire.

Figure 2 : Marqueurs de différenciation des cellules B dans la moelle osseuse

 


 

 


A-Chronologie des différents événements

Au sein du lymphocyte pré-B, le premier événement correspond aux recombinaisons qui aboutissent à la constitution d'un gène de chaîne lourde m fonctionnelle. La chaîne correspondante est synthétisée. La recombinaison au niveau des gènes de la chaîne légère est ensuite effectuée (d'abord k puis, en cas d'échec, l), ce qui permet la synthèse d'immunoglobulines complètes qui s'accrochent à la membrane. Le lymphocyte restera en l'état, avec ses IgM et ses IgD sur sa membrane jusqu'à ce que survienne une stimulation antigénique. Cette stimulation entraîne une modification de la maturation des messagers des chaînes lourdes, qui se traduit par la disparition des immunoglobulines membranaires et la sécrétion d'IgM. Une huitaine de jours plus tard intervient le switch, la synthèse d'IgM s'arrête, des immunoglobulines circulantes d'une nouvelle classe apparaissent : les IgG ou les IgA ou les IgE.

Figure 3 : Chronologie de la différenciation des cellules B dans la moelle osseuse

 

 

B-Exclusion allélique et Exclusion isotypique

L'une des particularités du lymphocyte est de ne synthétiser qu'un seul type d'anticorps à la fois, et ce à partir d'un seul des chromosomes de chaque paire intéressée (14, 2 ou 22). Ce phénomène est appelé exclusion allélique ou haploïdie fonctionnelle. Au cours de la différenciation du lymphocyte, une première recombinaison est tentée sur l'un des deux chromosomes pris au hasard. Si la recombinaison est réussie, c'est-à-dire si une chaîne fonctionnelle peut être synthétisée (on dit que le réarrangement est productif), tout s’arrête ; le second chromosome n’est pas recombiné et ne pourra pas être exprimé. Si au contraire, la tentative est un échec, et ne conduit pas à la synthèse d’un produit fonctionnel (réarrangement abortif), une nouvelle recombinaison est tentée sur l'autre chromosome. Si les échecs se répètent pour tous les gènes possibles, le lymphocyte ne sécrétera jamais d'immunoglobuline. Cette hypothèse a été confirmée par des expérimentations utilisant des souris transgéniques qui ont montré que si une copie d'un gène d'immunoglobuline recombiné était introduite dans un ovocyte de souris fécondé, les souris transgéniques qui en résultent ne recombinent plus leurs propres gènes d'immunoglobulines.

Une même cellule n'exprime jamais à la fois une chaîne kappa et une chaîne lambda (exclusion isotypique). La toute première tentative de recombinaison pour les chaînes légères s'effectue au niveau de l'un des deux gènes kappa. En cas d'échec il est fait appel au gène kappa de l'autre chromosome 2. En cas de nouvel échec il est fait appel aux gènes lambda. A leur niveau, chez l'homme, 12 tentatives seront possibles puisqu'il y a 6 gènes codant la partie constante des chaînes lambda sur chaque chromosome 22.

L’exclusion allélique et l’exclusion isotypique est contrôlée par le Pré-BcR

Figure 4 : Exclusion allélique et exclusion isotypique

 

 

 

C-Composition et fonction du Pré-BcR

Il est maintenant établi avec certitude que durant le développement précoce des lymphocytes B, la chaîne lourde m forme un récepteur avec le produit d’un gène ne subissant pas de réarrangement. Ce précurseur du BcR (Pré-BcR) régule le réarrangement génétique, la survie, la prolifération et la différenciation des lymphocytes B immatures. Par cette voie, les cellules immatures vont être soumises à un contrôle de qualité : seules les cellules contenant un réarrangement BcR m productif pourront poursuivre leur maturation.

Figure 4 : Structure et fonctions du pré-BcR

 

 


 


C-1-Structure du Pré-BcR 

Le pré-BcR est constitué de la chaîne m à laquelle vient s’associer la pseudo-chaîne légère elle même composée de deux constituants: VpréB et l5. La protéine l5 consiste en une région unique amino-terminale suivie par quatre domaines variables et un domaine constant qui est lié de façon covalente avec le premier domaine constant de la chaine lourde m. La protéine VpréB ressemble à un domaine Ig variable.

C-2- Régulation de l’expression et fonction du Pré-BcR

Dans la moelle osseuse, les précurseurs des cellules B réarrangent en premier lieu leur chaîne m. Les réarrangements de la chaine m débutent dès le stade Pro-B et s’achèvent au stade Pré-B. C’est à ce même niveau que sont synthétisées les chaînes VpréB et l5. Le pré-BcR est donc présent sur les cellules Pré-B. Le pré-BcR régule les réarrangements génétiques des chaînes légères, la survie, la prolifération et la différenciation des lymphocytes immatures. Par cette voie, les cellules immatures vont être soumises à un contrôle de qualité : seules les cellules contenant un réarrangement BcR m productif pourront poursuivre leur maturation. Le rôle du BcR nécessite donc la transduction d’un signal intracellulaire via le pré-BcR. Dans les cellules B matures cette fonction de transduction du signal est assurée par les molécules CD79. Les molécules CD79 sont produites très tôt au cours de la différenciation des lymphocytes B. Il est aujourd’hui clairement établi que les signaux médiés par le pré-BcR passent par l’activation des molécules CD79 via la phosphorylation des motifs ITAM présents dans la région intracytoplasmique de ces molécules.

Figure 5 : Expression du pré-BcR


 

 


II – Etapes de différenciation des lymphocytes B dépendantes de l’antigène.

Le récepteur à l’antigène des lymphocytes B (BcR) c’est à dire, les immunoglobulines de membrane peuvent encore subir des modifications dans les organes lymphoïdes secondaires. Cette différenciation est dépendante de l’Ag. Cette stimulation entraîne une modification de la maturation des messagers des chaînes lourdes, qui se traduit par la disparition des immunoglobulines membranaires et la sécrétion d'IgM. Une huitaine de jours plus tard intervient le switch, la synthèse d'IgM s'arrête, des immunoglobulines circulantes d'une nouvelle classe apparaissent : les IgG ou les IgA ou les IgE. Cette différenciation des lymphocytes B dépendante de l’antigène dans les organes lymphoïdes secondaires se traduit par une maturation de l’affinité des anticorps pour l’antigène. Ce phénomène est dû à des mutations somatiques dans les gènes codant les régions variables des immunoglobulines.

Figure 6 : Etape de différenciation des lymphocytes B dépendante de l’antigène.

 

 

A - Ig membranaire ou sécrétée

L’Immunoglobuline de membrane (BcR) est identique à l’immunoglobuline sécrétée (anticorps), à l’exception d’une séquence d’acides aminés située dans la partie C-terminale des chaînes H. Les Ig de membrane sont plus longues que leurs homologues sécrétées, leurs acides aminés supplémentaires traversant la membrane cellulaire pour y ancrer la molécule. Cela peut être observé avec les IgM membranaires, où une séquence d’acides aminés hydrophobe (lipophiles) est située entre les résidus hydrophiles localisés de chaque côté de la membrane. On pense que la séquence des résidus hydrophobes présente une conformation en hélice a dans la membrane. Les Ig de membrane ne forment pas de polymères à partir de la forme monomérique de base composée de quatre chaînes.

La présence simultanée d’IgM et d’IgD membranaires résulte d'un épissage alternatif

Une fois les différentes recombinaisons effectuées, un lymphocyte B qui ne sécrète pas encore d'anticorps possède à sa surface des IgM et des IgD de type membranaire présentant la même partie variable et la même chaîne légère. La présence simultanée des deux types de chaînes lourdes résulte d'une part de l'utilisation de sites d'arrêt de transcription différents, et d'autre part d'une maturation différentielle des produits de transcription.

Le détail exact des mécanismes n'est pas connu. Deux types de pré-messagers peuvent être synthétisés à ce stade. Les messagers de type m (membranaire), après épissage et traduction, donneront les chaînes lourdes m, alors que les messagers de type m -d peuvent donner par épissage différentiel des chaînes lourdes m et d.

Figure 7 : Immunoglobulines membranaires.

 

Une modification de la maturation des messagers permet la sécrétion des IgM

Après stimulation un lymphocyte B sécrète des IgM solubles alors que les IgM et les IgD membranaires disparaissent. Les parties variables et les chaînes légères de ces trois types d'immunoglobulines sont identiques. Ce phénomène résulte d'une modification de la maturation des messagers et peut-être aussi d'une variation du site d'arrêt de la transcription. La partie constante des chaînes m est codée par 6 exons. Les deux derniers (exons 5 et 6) codent pour une séquence hydrophobe de 41 acides aminés qui constitue la partie transmembranaire de l'IgM de membrane. Après stimulation antigénique la maturation des messagers se modifie ; seuls les messagers de type m (sécrété) qui ne contiennent que les exons de 1 à 4 sont retrouvés dans le cytoplasme. La chaîne synthétisée ne possède plus la séquence peptidique nécessaire à l'ancrage dans la membrane ; elle est donc totalement sécrétée et les IgM et les IgD membranaires ne sont plus synthétisées. Le retrait de la partie transmembranaire emporte aussi des cystéines qui permettaient la dimérisation des chaînes lourdes par un pont disulfure.

Figure 8 : Immunoglobuline sécrétée.

 

 

 

B- Le switch ou commutation isotypique

B-1-La transition IgM à IgG ou IgA ou IgE résulte d’une nouvelle recombinaison

Après une stimulation antigénique le lymphocyte B sécrète des IgM. Une multiplication des cellules sécrétantes fait que, pendant les premiers jours de la réponse immunitaire, le taux circulant de l'immunoglobuline correspondante va croître. Une huitaine de jours plus tard ce taux va baisser alors que de manière concomitante des IgG possédant exactement la même partie variable et la même chaîne légère apparaissent ; c'est le phénomène du switch. Le taux d'IgG circulantes croît, puis après quelques jours, décroît lentement. Plus tard, les lymphocytes ne sécréteront plus que des IgG. Le switch modifie de manière définitive la classe de l'immunoglobuline sécrétée par un lymphocyte, mais ne touche pas sa spécificité, puisque seule la région constante est substituée. La modification de la classe de l’immunoglobuline produite induit une modification des propriétés effectrices de l’anticorps.

Ce switch de synthèse d'immunoglobulines résulte d'une nouvelle recombinaison du DNA. Chaque gène de la partie constante, sauf le gène d est précédé d'une séquence S (pour switch) constituée d'une trentaine de paires de bases située 1 à 2 kb en amont. Toutes les séquences S sont homologues (conservation de 22 des 30 nucléotides). Environ 8 jours après la stimulation antigénique, une recombinaison somatique se produit entre la séquence S du gène m et l'une des séquences S des gènes codant la partie constante des autres isotypes (g, a, e). Le DNA entre ces deux séquences est délété. Le lymphocyte ne peut plus jamais synthétiser ni IgM ni IgD.

Figure 8 : Commutation de classe des immunoglobulines.

 

               B-2-Mécanismes responsables du switch isotypique

Les recombinaisons ayant lieu au niveau des lymphocytes B matures après exposition à l’antigène, la classe de la chaîne lourde choisie est influencée par la nature de l’antigène. Lors d’une réponse T-dépendante, la commutation de classe dépend de la présence de l’antigène, d’interactions membranaires entre le lymphocyte B et le lymphocyte T et de l’environnement cytokinique. Au cours des réponses T indépendantes, on observe aussi une commutation isotypique liée à l’activation des immunoglobulines de surface du lymphocyte B et de l’action conjointe de cytokines produites par différents types cellulaires. Au cours d’une réponse T dépendante, le switch dépend de l’activation du BcR et de CD40. Les souris déficientes en CD40 ou en CD40L répondent normalement aux antigènes T indépendants et produisent de grandes quantités d’IgM et d’IgG3 et des quantités normales d’IgG1, d’IgG2b et d’IgA. En revanche, l’expression des IgE semble requérir un signal médié par CD40. La commutation de classe débute environ six jours après l’activation par un antigène T dépendant in vivo. Le switch a lieu dans les centres germinatif, au même moment, mais de façon indépendante des mutations somatiques. Ainsi, les IgG, les IgA et les IgE sont produites plus tard que les IgM au cours d’une réponse primaire, et représentent la majorité des immunoglobulines produites au cours d’une réponse secondaire. La commutation de classe peut être induite dans les lymphocytes B par traitement avec un agent mitogénique comme le LPS s’il est utilisé en conjonction avec des cytokines appropriées. L’IL-5 semble être essentielle dans l’induction des recombinaisons. Le switch peut également être induit par activation de CD40 en l’absence d’antigène.

Figure 9 : mécanisme responsable de la commutation de classe des immunoglobulines.

 

 

Rôle des cytokines dans la commutation de classe des immunoglobulines

De nombreuses données de la littérature semblent indiquer que des cytokines comme l’IL-4 ou l’IFN-g peuvent réguler la spécificité isotypique du switch en régulant la transcription des gènes codant la région constante des chaînes lourdes avant que la commutation n’ait lieu. Bien que les cytokines seules n’induisent pas le switch, l’induction ou au contraire la suppression des transcrits primaires des différentes chaînes lourdes par ces cytokines précède le switch vers le même isotype après addition d’un activateur des cellules B. La transcription d’un gène des chaînes lourdes non réarrangé précède toujours le switch vers le même isotype.

L’IL-4 induit les transcrits primaires g1 et e chez la souris et g4 et e chez l’homme et par voie de conséquence le switch vers ces mêmes isotypes.

L’addition d’IFN-g à des cellules B activées par du LPS dirige le switch vers la production d’IgG-1 chez l’homme et d’IgG2 chez la souris, a et de façon moindre vers la production d’IgG3.

Ce rôle des cytokines dans le switch isotypique permet d’avoir une vision indirecte sur le type de réponse T . En effet, une réponse de type Th2 se caractérise par la production d’IL-4 par les lymphocytes T et par voie de conséquence la production par les lymphocytes B d’IgG4 spécifiques chez l’homme et IgG1 chez la souris. Les lymphocytes Th1 synthétisent quant à eux de l’IFN-g et favorisent la production d’IgG1 chez l’homme et d’IgG2a chez la souris.

Rôle de CD40 et des signaux transduits via le BcR.

Le signal via CD40 permet la production de transcrits primaires de type g1 et e chez la souris. Ainsi, les signaux produits par CD40 contribuent à la spécificité du switch isotypique.

Bien que la liaison du BcR induise le switch en combinaison avec l’IL-5, la seule activation du BcR permet une commutation isotypique vers les IgG1 et 3.

En conclusion, les signaux induits par le BcR et CD40 interviennent dans la spécificité de la commutation de classe des immunoglobulines.

       C- Mutations somatiques

               C-1- Introduction

Le récepteur à l’antigène des lymphocytes B (BcR) c’est à dire, les immunoglobulines de membrane peuvent encore subir des modifications dans les organes lymphoïdes secondaires. Cette différenciation est dépendante de l’Ag.

Figure 10 : mutations somatiques.

Figure : Immunobiology, CA. Janeway, 1998, Garland Publishing

 

Les anticorps produits au cours de la réponse primaire sont de faible affinité. Toutefois, au fur et à mesure que la réponse immunitaire progresse, l’affinité des anticorps tend à augmenter. Les clones B spécifiques de l’antigène prolifèrent et leurs gènes codant les immunoglobulines sont sujets à de nombreuses mutations ponctuelles conduisant à la génération d’une population de cellules filles comportant de nombreuses substitutions nucléotidiques au niveau du gène codant la région variable des Ig. Une petite proportion de ces mutations augmente l’affinité de l’anticorps pour l’antigène. Les clones dont les mutation conduisent à une augmentation d’affinité de l’Ig pour l’Ag seront sélectionnés dans les organes lymphoïdes secondaires. Il n’y a pas de mutation somatique lors de la réponse primaire. Les mutations somatiques ont seulement lieu lors de la réponse secondaire. Les mutations sont ciblées sur les régions hypervariables du gène V des Ig et s’étendent sur environ 1kb. Le taux de mutation est d’environ 1 mutation pour 1000 paires de bases par gène. Il existe des " hot spots " de mutation dans les régions hypervariables au niveau des CDR (complementary determining regions). Ce sont ces mutations dans les régions CDR qui sont responsables de la maturation de l’affinité de l’Ig pour l’Ag. On observe surtout des mutations purine-purine ou pyrimidine-pyrimidine. Les A et les G sont plus souvent mutés que les T et les C.

               C-2-Cinétique des mutations somatiques

Après contact avec l’antigène, les cellules B activées migrent dans les follicules primaires des organes lymphoïdes périphériques où elles prolifèrent de façon intense et forment des centres germinatifs. Les centres germinatifs apparaissent une semaine après la stimulation par l’antigène. C’est au niveau des centres germinatifs qu’auront lieu les mutations somatiques et la sélection des clones B par l’antigène. Ces mutations somatiques ont lieu dans les lymphocytes B au stade plasmocyte ou cellule B mémoire. Elles se déroulent dans les centres germinatifs. Ces mutations ponctuelles ont lieu dans une population clonale, donc dans des cellules ayant un même réarrangement VDJ. A la fin, toutes les cellules partagent les mêmes mutations. La formation des centres germinatifs et l’activation des mécanismes conduisant aux hypermutations nécessitent la coopération des cellules T. En effet, les lymphocytes T CD4+ auxiliaires activent les hypermutations de façon dose-dépendante. Pour que la formation des centres germinatifs et l’activation des mutations somatiques soit optimales, elle nécessite l’interaction entre CD40 sur le lymphocyte B et CD40 Ligand sur le lymphocyte T de même que des interactions entre B-7 et CD28. Les hypermutations sont restreintes à une petite population de lymphocytes B au cours de leur différenciation. Le processus de mutation est actif au stade centroblaste. La sélection des clones B après mutation somatique s’effectue au stade centrocyte et nécessite l’interaction avec les cellules folliculaires dendritiques des centres germinatifs. Au cours de ce processus de sélection, la grande majorité des cellules B meurt par apoptose. Seuls survivent les clones ayant muté leurs Ig de membrane avec accroissement de leur affinité.

Figure 12 : Les mutations somatiques ont lieu dans les centres germinatifs.

 

 

Photo : Immunologie clinique, 1991, J. Brostoff. Ed DeBoeck Université

 

Figure 12 : mécanisme responsable des mutations somatiques.

 


 


III – Sélection du répertoire des lymphocytes B

A – Existe t il une tolérance du compartiment B ?

Le système immunitaire est soumis à deux forces sélectives opposées : produire des lymphocytes B ayant des récepteurs membranaires susceptibles de reconnaître un grand nombre d’antigènes et contrôler les lymphocytes susceptibles de réagir avec le soi. La tolérance au soi du système immunitaire est donc un état physiologique acquis dans lequel le système immunitaire ne réagit pas contre les éléments du soi.

Au début des années 60, l’utilisation d’antigènes marqués à la fluorescéine a permis pour la première fois de quantifier des cellules B spécifiques d’un antigène donné et de détecter des lymphocytes B spécifiques d’auto-antigènes. Il est ainsi possible de détecter dans le sang des lymphocytes B spécifiques de la thyroglobuline. On ne détecte cependant pas des lymphocytes B spécifiques de toutes les protéines du soi. Ainsi, les cellules B ayant des IgM de surface spécifiques de la sérum albumine n’ont jamais été détectées dans le sang. A la caractérisation physique des cellules B autoréactives s’ajoute la mise en évidence de leurs propriétés fonctionnelles . La stimulation polyclonale des lymphocytes B par le LPS permet la différenciation de quelques cellules autoréactives en plasmocytes sécrétant des IgM spécifiques d’autoantigènes. Ces résultats suggèrent que la tolérance n’implique pas forcément la délétion de tous les clones B autoréactifs comme l’avait précédemment suggéré Burnet.

L’activation des lymphocytes B nécessite deux signaux de stimulation. Le premier, spécifique, est apporté par l’antigène qui se combine sous forme native aux IgM de surface du lymphocyte B. Le second signal nécessite des interactions membranaires entre le lymphocyte B et le lymphocyte T (B-7 et CD40 sur le lymphocyte B ; CD28 et CD40 Ligand sur le lymphocyte T). Chiller, Habicht et Weigle ont montré que, chez la souris, la tolérance des lymphocytes aux gammaglobulines humaines diffère selon que les cellules proviennent du thymus (lymphocytes T) ou de la moelle osseuse hématopoïétique (lymphocytes B). L’induction d’une tolérance des lymphocytes B nécessite une plus forte dose d’antigènes que pour les lymphocytes T. De plus, les lymphocytes B deviennent tolérants plus tardivement et moins longtemps que les lymphocytes T. Le seuil de tolérance des lymphocytes T étant plus bas que celui des lymphocytes B, l’absence d’auto-réactivité B peut être expliquée par l’anergie ou la délétion des lymphocytes T. Si l’on élimine ou inactive les lymphocytes TCD4+ autoréactifs, ils ne pourront fournir les co-signaux de stimulation et les lymphocytes B ne réagiront pas, même s’ils ne sont pas tolérants. L’induction d’une tolérance des lymphocytes B est cependant indispensable parce qu’il existe des réponses lymphocytaires B thymoindépendantes et parce que certains micro-organismes peuvent porter des épitopes croisés avec des antigènes du soi, et capable de stimuler les cellules B. De tels antigènes pourraient induire une forte réponse anticorps contre des antigènes du soi. De plus, dans tous les cas de tolérance induite par injection de doses massives d’antigènes thymodépendant, l’activation des cellules B par le LPS est capable de rompre la tolérance comme pourrait le faire une endotoxine d’origine bactérienne. Il faut donc que les cellules B soient rendues tolérantes à la fois au cours de leur développement dans la moelle osseuse et en périphérie après stimulation antigénique dans les organes lymphoïdes secondaires.

       B – Sélection du répertoire B dans la moelle

Le développement des lymphocytes B dans la moelle conduit à la production de lymphocytes B immatures générés à partir d’un petit nombre de progéniteurs. A partir de ces cellules B immatures, un petit nombre est sélectionné pour entrer dans le pool des lymphocytes B matures périphériques. Durant leur développement, les cellules B autoréactives reconnaissant des autoantigènes sont contrôlées soit par arrêt de leur différenciation (délétion clonale centrale), soit par modification de l’expression des chaînes légères (" receptor editing ").

La première démonstration de l’existence de la délétion clonale des lymphocytes B a été réalisée par Nemazee et Bürki. Chez des souris transgéniques dont les lymphocytes B expriment des IgM de surface spécifiques de la molécule de classe I Kk et Dk, 20 à 25% des lymphocytes B spléniques expriment ce récepteur et des IgM de cette spécificité sont présents dans le sérum lorsque ces animaux sont sous fond génétique H2-b. En revanche, lorsque l’on croise ces animaux avec des souris d’haplotype H2-k, les cellules B et les anticorps sériques H2-k disparaissent. Les lymphocytes B sont absents de la rate et des ganglions, il existe dans la moelle osseuse des cellules B autoréactives résiduelles. Le site de délétion des lymphocytes B est la moelle osseuse. Actuellement, très peu de travaux ont été réalisés pour connaître les cellules exprimant ou présentant les antigènes qui induisent la délétion clonale médullaire.

L’activation du récepteur de surface des lymphocytes B mature conduit à leur activation et à leur différenciation. Les cellules B immatures expriment aussi à leur surface des IgM. Toutefois, contrairement au lymphocytes B matures, l’activation des immunoglobulines de surface conduit à l’apoptose des cellules B immatures. L’exposition des cellules B immatures à un autoantigène conduit à la diminution de l’expression des IgM de surface et du CD45, et à l’arrêt de la différenciation de ces cellules. Toutefois, le contact entre une cellule B immature et un autoantigène ne conduit pas inéluctablement à la délétion de la cellule. En effet, les cellules B immatures peuvent modifier la spécificité de leur immunoglobuline de surface. La liaison de l’autoantigène à l’IgM de surface du lymphocyte B immature active l’expression des gènes RAG-1 et 2 ce qui conduit à l’induction de réarrangements secondaires des chaînes légères. De ce fait, les cellules B immatures changent de spécificité. Le nouveau récepteur ainsi généré ne reconnaît plus l’autoantigène. Cette propriété est cependant limitée dans le temps a cause de la faible durée de vie des cellules immatures (3 à 4 jours). Ainsi les cellules qui n’auront pu à temps modifier leur répertoire de façon efficace mourront par apoptose. De ce fait, les autoantigènes présents dans les organes lymphoïdes primaires censurent le répertoire des lymphocytes B immatures.

La délétion clonale centrale opère selon des critères bien établis. Ainsi, une cellules B autoréactive sera délétée si elle rencontre des antigènes du soi exprimés à la surface d’une autre cellule. Ces autoantigènes devront être susceptibles d’agréger les Ig de surface du lymphocyte B avec une forte affinité. Metcalf et Klinman ont ainsi été les premiers à démontrer que si les cellules B immatures spécifiques d’un haptène étaient exposées 24 heures à cet haptène en l’absence de cellules T, les cellules B ne pouvaient plus répondre à une stimulation ultérieure faisant intervenir cette fois et l’haptène et les cellules T. Dans ce système, la tolérance n’est observée que si l’antigène est multivalent.

La tolérance d’un lymphocyte B ne peut être induite que si son récepteur de surface est activé de façon efficace. Cette activation ne peut avoir lieu que si les IgM membranaires sont agrégées par un antigène multivalent. Une protéine transmembranaire est particulièrement apte à agréger les Ig de surface du lymphocyte B puisqu’elle s’exprime ancrée à la membrane cellulaire sous forme multivalente. Ce type de protéine est donc un excellent tolérogène. Cette propriété a d’ailleurs été parfaitement démontrée puisque si l’on fait exprimer la protéine H2-k non plus sous forme membranaire mais sous forme soluble dans le sérum des animaux transgéniques dont les lymphocytes B expriment des IgM anti H2-k, ces cellules ne sont plus délétées. Bien qu’il soit difficile de comparer les taux d’occupation des Ig de surface des lymphocytes B spécifiques dans ces deux modèles, et donc d’appréhender des différences quantitatives, ces observations suggèrent que seuls les autoantigènes capables d’être présentés aux lymphocytes B sous forme multivalente peuvent être tolérogènes. De plus, le fait que la plupart des autoanticorps soient spécifiques de molécules intracellulaires confirme cette hypothèse.

La tolérance des lymphocytes B est étroitement liée au niveau d’activation du récepteur de surface de la cellule. Outre sa forme multimérique, l’affinité de l’antigène pour son récepteur de surface est particulièrement importante pour obtenir ce niveau d’activation. L’activation par le LPS de cellules pré-B ou de cellules B matures d’origine splénique produit une quantité équivalente d’anticorps anti ADN simple brin. Toutefois, seuls 2% de ces anticorps produits par les lymphocytes B matures sont de fortes affinité contre 17% pour ceux produits par les cellules pré-B. Ces résultats indiquent d’une part que certaines cellules B sont éliminés du répertoire B durant la transition entre le stade pré-B et B mature et d’autre part que les cellules éliminées au cours de ce processus avaient une affinité moyenne supérieure à celles restantes. La tolérance semble donc affecter en priorité les lymphocytes B autoréactifs de forte affinité pour l’autoantigène.

Certains sous-types de lymphocytes B comme les lymphocytes B1-a font cependant exception à cette règle. Ces cellules sont présentes dans les cavités pleurales et péritonéales. Elles expriment en plus des marqueurs de surface classique des lymphocytes B les protéines CD5 et MAC-1. Au niveau fonctionnel, ces cellules synthétisent des autoanticorps dirigés contre des constituants lipidiques tel que la phosphorylcholine ou peptidiques tel que l’antigène Thy-1 présent notamment sur les thymocytes et les lymphocytes T Il a récemment été montré que la présence de l’antigène reconnu par ces cellules n’induisait pas leur délétion mais au contraire était nécessaire au développement de ces cellules.

Figure 13 : Sélection du répertoire B dans la moelle.

 

 

 

 

C – Sélection du répertoire B en périphérie

Comme les cellules B immatures, les cellules matures sont sujettes à un processus d’induction de tolérance. Ainsi, chez des souris transgéniques dont l’ensemble des lymphocytes B exprime une IgM spécifique de l’antigène de classe I H-2b, les cellules B immatures sont délétées dans la moelle si l’antigène de classe I H-2b est exprimé dans la moelle osseuse (délétion clonale centrale). En revanche, si la molécule H-2b est exprimée seulement en périphérie (dans le foie ou le rein par exemple), les cellules B immatures se développent normalement mais les cellules B matures sont délétées en périphérie.

Dans les années 40, Felton confirma que l’infection d’une souris par le pneumocoque était fatale si l’animal avait préalablement été injecté avec 0.5 mg du LPS de la bactérie. Le système immunitaire semblait paralysé et un des effets immunologiques majeurs observés au cours de cette expérience était l’inhibition de la réponse anticorps anti-bactérienne. Un peu plus tard, Dresser montra en 1962 que l’injection d’une protéine antigénique pouvait effectivement paralyser le système immunitaire ; mais si cette protéine était associée à l’adjuvant complet de Freund, on observait une réponse anticorps dirigée contre cet antigène. Dans la plupart des cas, les cellules spécifiques de l’antigène persistaient même après l’exposition au tolérogène. Nossal et Pike dénommèrent ce phénomène " anergie ". Les expériences de Bretscher et Cohn permirent de poser les bases théoriques des mécanismes responsables de l’anergie. Les cellules B matures doivent posséder un mécanisme pour maintenir leur tolérance évitant les mutations somatiques et la variabilité dynamique de leurs immunoglobulines de surface. En effet les mutations somatiques des gènes des Ig ont lieu après la sélection centrale médullaire et la modification du récepteur de l’antigène des lymphocytes B au cours de ce processus était susceptible de générer des récepteurs autoréactifs. Ces auteurs émirent l’hypothèse que la seule stimulation du lymphocyte B via ses récepteurs membranaires induit l’anergie de la cellule. L’activation efficace nécessite l’induction d’un second signal. Ce deuxième signal est apporté par le lymphocyte T auxiliaire spécifique de l’antigène. Dans l’état actuel des connaissances, la cellule B fixe l’Ag par ces Ig de surface, le complexe Antigène récepteur est internalisé et l’antigène découpé en peptides. Ces peptides antigèniques sont alors présentés dans le contexte des molécules de classe II du CMH a des lymphocytes T spécifiques. L’activation de ces lymphocytes T va permettre l’activation et la différenciation des lymphocytes B par l’intermédiaire d’interactions membranaires ou de sécrétion de cytokines. L’utilisation de souris transgéniques a permis de bien définir la nature de l’anergie des lymphocytes B. Ainsi, chez les souris transgéniques exprimant des IgM et des IgD membranaires anti-lysozyme de poule (HEL), 90% des cellules B expriment le récepteur transgénique. Lorsque l’on croise ces animaux avec des souris exprimant de façon constitutive HEL dans le sérum, les descendants double transgéniques ont un nombre élevé de cellules B spécifiques de HEL dans leur rate et leur ganglions. Toutefois, l’immunisation de ces animaux avec du HEL n’induit pas la prolifération des cellules B spécifiques ni leur production d’anticorps anti HEL. Des expériences de transfert ont montré que cette absence de réponse n’était pas liée à un déficit fonctionnel des lymphocytes T. Ainsi, bien que les cellules B n’aient pas été délétées, elle apparaissent bloquées au niveau fonctionnel. Au niveau cellulaire, cet état d’anergie s’accompagne d’une diminution profonde des IgM de surface alors que les autres marqueurs membranaires IgD, CD45, HSA restent normaux. En outre, les lymphocytes B anergiques sont toujours capables de fixer l’antigène.

Le rôle de la concentration antigénique dans l’acquisition de cet état anergique a été étudié dans une série d’expériences utilisant des souris transgéniques exprimant HEL à diverses concentrations dans le sérum. Lorsque le sérum des animaux contient de fortes quantités d’antigène (1010 ), les animaux sont rendus tolérants . Cette tolérance est maintenue après l’immunisation par du HEL couplé à une protéine porteuse permettant l’activation et la coopération des lymphocytes T auxiliaires.

Lorsque les souris expriment 10 fois moins de HEL dans le sérum, les cellules B ne sont plus tolérantes et aucune diminution de l’expression membranaire des IgM de surface anti HEL n’est observée. Le lien entre ces deux expériences a été réalisé chez des animaux transgéniques dont l’expression du transgène HEL était sous le contrôle d’un promoteur métallothionéine. La propriété majeure de ce promoteur est d’être activable par le zinc. Ainsi, l’apport de cet oligo-élément dans l’eau de boisson des animaux permet d’augmenter l’expression du transgène et donc d’augmenter les concentrations sériques de HEL. Sans induction du transgène par le zinc, la concentration sérique d’HEL est trop faible pour induire la tolérance du compartiment B. L’ajout de zinc permet en 4 jours de multiplier par 70 la concentration sérique d’HEL. Durant cette période, ont observe une diminution progressive des IgM de surface des lymphocytes B spécifiques de HEL et l’immunisation des animaux par l’antigène ne peut plus activer les cellules B.

L’état d’anergie est réversible. Il peut être observé si l’antigène est retiré (Exemple : transfert des cellules B anergiques à une souris n’exprimant pas HEL) . La réversion se fait en deux temps : la première étape correspond à une prolifération sans production d’anticorps. Lorsque le nombre de lymphocyte B est redevenu normal on assiste alors à la synthèse d’Ac anti-HEL. L’anergie dépend de la quantité d’HEL exprimée. Une production faible de HEL n’induit pas de modulation négative et conduit à la production d’anticorps alors qu’une expression plus forte d’HEL conduit à l’anergie des lymphocytes B spécifiques . L’anergie semble liée à un blocage de la transduction du signal via les Ig de surface. L’état d’anergie peut être surmonté par la stimulation des cellules anergiques avec CD40 ligand et l’IL-4.

Figure 13 : Sélection du répertoire B en périphérie.